JEUX OLYMPIQUES L'Afrique du Sud et les Jeux
Le 10 000 mètres féminin constitue l'un des temps forts des Jeux de Barcelone. Le vendredi 7 août 1992, alors que la nuit envahit le magnifique stade olympique baigné par la chaleur, les concurrentes s'élancent pour un effort de plus d'une demi-heure. La course en elle-même est limpide et sans grande surprise. La Britannique Liz McColgan (vingt-huit ans), qui fut une magnifique championne du monde en 1991 et est présentée comme la favorite de ce 10 000 mètres, donne la cadence, imposant une allure soutenue mais régulière. Aux 7 000 mètres, Elana Meyer (Afrique du Sud), vingt-cinq ans, constatant que la Britannique donne des signes de fatigue, porte une franche attaque et pense faire la décision ; mais une petite Éthiopienne de vingt ans, Derartu Tulu, la rejoint sans mal et se cale dans sa foulée ; les positions demeurent figées jusqu'à la cloche, dont le son matérialise l'entrée dans le dernier tour, moment que choisit Derartu Tulu pour placer une accélération soudaine qui laisse Elana Meyer, épuisée, sans réaction. Derartu Tulu s'impose (31 min 6,02 s), avec plus de 5 secondes d'avance sur Elana Meyer. L'événement est déjà d'importance en lui-même, puisque jamais une Africaine noire n'avait été sacrée championne olympique. Mais, en quelques instants, l'histoire olympique bascule dans la grande Histoire. En effet, la Noire, née dans les hauts plateaux de l'Arsi, en pays oromo, et la Blanche, issue du pays de l'apartheid, se rejoignent, s'enlacent, s'étreignent, unissent leurs drapeaux et, peau contre peau, effectuent un émouvant tour d'honneur sous les applaudissements de quatre-vingt mille spectateurs enthousiastes. Ces images de paix et de fraternité, retransmises par la télévision, font le tour du monde : l'Afrique du Sud vient sans doute d'amorcer son réel retour dans le concert des nations.
L'Afrique du Sud et les jeux Olympiques entretiennent en effet des relations complexes. En 1948, à la suite de la victoire électorale du National Party de Daniel Malan, le nouveau gouvernement sud-africain met en place l'apartheid, honteuse politique de séparation des races, qui va progressivement s'établir comme système de gouvernement et modèle de société, imposant la séparation physique et la hiérarchisation de quatre groupes raciaux : Blancs, Coloured, Indiens et Noirs. Le C.I.O. ne s'émeut guère de cette situation, et l'Afrique du Sud est conviée aux jeux Olympiques d'Helsinki (1952), où ses représentants obtiennent dix médailles, de Melbourne (1956) et de Rome (1960). Mais, avec les décolonisations, la position dogmatique du C.I.O. – on ne mélange pas sport et politique – devient intenable. À partir de 1964, l'Afrique du Sud n'est plus invitée à participer aux Jeux ; mais il faut attendre 1970 pour que le pays de l'apartheid soit officiellement exclu du mouvement olympique par le C.I.O.
L'Afrique du Sud refait rapidement la une de l'actualité olympique et se trouve à l'origine du premier boycottage d'envergure des Jeux. En 1976, alors que vont bientôt s'ouvrir les Jeux de Montréal, les rugbymen néo-zélandais – les All Blacks – effectuent une tournée en Afrique du Sud – pays des Springboks. L'Organisation de l'unité africaine, qui tient réunion au début de juillet à l'île Maurice, s'émeut de cette situation. Le 15 juillet, seize comités olympiques africains demandent officiellement que la Nouvelle-Zélande soit exclue des Jeux. Le C.I.O. leur adresse une fin de non-recevoir ; sur ordre de leurs gouvernements, les sportifs de vingt-cinq pays africains quittent donc Montréal.
Élu président de la RépubliqueKéba Mbaye. sud-africaine en 1989, Frederik De Klerk abolit l'apartheid en juin 1991. Dès lors, le retour de l'Afrique du Sud au sein du[...]
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Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
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