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JEUX OLYMPIQUES Les boycottages des Jeux

Quelle efficacité politique ?

Les boycottages des Jeux eurent-ils une influence quelconque sur la géopolitique mondiale ? On serait tenté de répondre derechef par la négative à cette question, de rappeler que les sportifs furent les seules victimes de ces décisions politiques. La réalité est plus complexe.

Rappelons déjà que la lâcheté du mouvement sportif à l'occasion des Jeux de Berlin en 1936 préfigurait celle des dirigeants politiques qui allaient parapher deux ans plus tard les accords de Munich. Certes, si plusieurs nations avaient refusé d'envoyer leurs athlètes à Berlin, les nauséabondes visées du régime nazi n'auraient pas changé d'un iota. Néanmoins, la stratégie olympique nazie élaborée par Joseph Goebbels – une gigantesque mascarade consistant à affirmer la grandeur du IIIe Reich sans effrayer le monde – eut été mise à mal. Un boycottage olympique, par sa valeur symbolique, aurait-il permis aux opinions européennes de faire pression sur leurs dirigeants pour qu'ils s'inquiétassent de l'expansionnisme hitlérien plutôt que de ne s'intéresser qu'aux problèmes internes de leurs pays ? Sûrement pas, mais...

Le boycottage africain des Jeux de Montréal en 1976 n'eut aucun résultat concret : l'Afrique du Sud n'a pas infléchi sa politique ségrégationniste, les rugbymen britanniques, en 1980, français, en 1981, néo-zélandais – cependant contre l'avis de leur gouvernement –, en 1986, se rendront en Afrique du Sud pour affronter les Springboks... Néanmoins, il matérialisait plus encore l'isolement du pays de l'apartheid sur la scène internationale.

Les boycottages de 1980 et de 1984 mettent parfaitement en lumière l'un des aspects de la guerre froide, celui de la bataille de l'image. En décrétant le boycottage des Jeux de Moscou, le président Carter n'espérait nullement un retrait soviétique d'Afghanistan. De fait, les troupes soviétiques ne quitteront le pays qu'en 1988, alors que, dans le même temps, le programme d'aide à la résistance afghane mis en place par la C.I.A. s'accentuera avec la présidence de Ronald Reagan. Des centaines de sportifs ont été privés du rendez-vous majeur de leur carrière, alors que cette guerre cachée entre les deux Grands fera des milliers de morts et participera à l'émergence des talibans. En revanche, en termes d'image, les Jeux de Moscou, privés de nombre de sportifs de haut niveau, se trouvèrent défigurés. L'U.R.S.S. et le bloc de l'Est souhaitaient faire, à l'occasion de ces Jeux, la démonstration de leur puissance, par le biais des succès de leurs sportifs. En l'absence des Américains et de nombre de leurs alliés, cette démonstration fut absolue : les Soviétiques s'adjugèrent cent quatre-vingt-quinze médailles, dont quatre-vingts médailles d'or ; les pays communistes remportèrent cent soixante-cinq des deux cent trois titres olympiques et cinq cent neuf des six cent trente et une médailles distribuées ! Cette outrageuse domination, par ces chiffres mêmes, tourna en fait au ridicule. En 1984, les Américains affichèrent un bilan aussi impressionnant et caricatural que celui des Soviétiques en 1980 : cent soixante-quatorze médailles, dont quatre-vingt-trois médailles d'or. Et le spectacle de tous ces sportifs américains saluant le public dans des tours d'honneur sans âme drapés de la bannière étoilée s'avéra des plus grotesques. En termes d'image, les absents, en 1980 et en 1984, ont-ils eu tort ? Non, sans doute. Toujours est-il que ces boycottages ne modifièrent aucunement le comportement des États et que les premières victimes en furent les sportifs...

— Pierre LAGRUE

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Écrit par

  • : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs

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