JEUX OLYMPIQUES Les Jeux et la guerre froide
Deux systèmes sportifs opposés, mais un objectif similaire
Les systèmes d'organisation du sport sont diamétralement opposés en U.R.S.S. et aux États-Unis ; pourtant, l'objectif – la conquête des médailles – est le même, et les moyens mis en œuvre reposent dans les deux pays sur un détournement de la Charte olympique telle qu'elle fut en vigueur durant quatre-vingts ans, laquelle érigeait l'« amateurisme » des compétiteurs en leitmotiv.
En U.R.S.S., les instances sportives sont placées sous l'autorité directe du Parti communiste. À partir du moment où les dirigeants politiques soviétiques envisagent la participation de leur pays aux Jeux, un grand programme de développement du sport de masse se voit mis en œuvre : les infrastructures sortent de terre, les clubs se multiplient, le nombre de licenciés explose (on en comptera 50 millions en 1975). Pourtant, la politique sportive obéit à une tout autre logique que celle de l'« homme nouveau soviétique » jadis promue par Lénine, qu'Alexandre Zinoviev raillera en le baptisant Homo sovieticus et dont le mineur Stakhanov est le prototype : le sport devient une affaire d'élite. Tout part néanmoins de la base : des systèmes de détection sont mis en place pour les enfants, les programmes d'éducation physique généralisés dans les écoles permettent de repérer les futurs talents, lesquels, dès le plus jeune âge, sont orientés vers des centres d'entraînement, de véritables « usines à champions » ; leur carrière est désormais totalement planifiée et prise en charge par l'État. Une fois mûrs pour la compétition internationale, les sportifs d'élite peuvent demeurer étudiants durant des années, intégrer l'armée (les clubs du C.S.K.A.) ou la fonction publique, le plus souvent la police (les clubs du Dynamo). Dans tous les cas, le sportif d'élite peut se consacrer à plein temps à l'entraînement, ce qui se situe aux antipodes de l'amateurisme coubertinien. En outre, les succès olympiques sont récompensés : promotion en grade dans l'armée ou dans la police, appartement confortable, « salaire » d'apparatchik, voire, sur la fin de l'histoire soviétique, prime de victoire (le chiffre de 12 000 roubles, soit environ 20 000 euros, est avancé pour une médaille d'or aux Jeux de Séoul en 1988).
Aux États-Unis, tout au contraire, la vision libérale prévaut : l'État intervient très peu dans les affaires sportives ; les loisirs et le spectacle (sports professionnels) sont privilégiés. Le sport « amateur » de compétition repose sur le système scolaire et universitaire. La très puissante National Collegiate Athletic Association (N.C.A.A.), fondée en 1906 sous le nom d'Intercollegiate Athletic Association of the United States, et la National Association of Intercollegiate Athletics (N.A.I.A.), créée en 1937 par James Naismith sous le nom de National Association of Intercollegiate Basketball, organisent de multiples championnats prestigieux. Au sein du système universitaire américain, le sport tient un rôle non négligeable : la renommée de telle ou telle université provient parfois tout autant des performances de ses équipes de basket-ball, de football américain ou d'athlétisme que des résultats scolaires de ses étudiants. Aussi, à partir des années 1960, les universités américaines « recrutent » certains étudiants uniquement en raison de leurs capacités sportives. Dans ces institutions, ceux-ci bénéficient des meilleures conditions d'entraînement qui soient, du soutien de coachs prestigieux (tel Bud Winter, qui façonna Tommie Smith ou Lee Evans à l'université d'État de San Jose). Dès lors, eux aussi peuvent consacrer tout leur temps à l'entraînement ; ils sont noirs pour la plupart, et la victoire olympique pourra leur permettre – à condition de ne pas manifester[...]
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Écrit par
- Pierre LAGRUE : historien du sport, membre de l'Association des écrivains sportifs
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