JARMUSCH JIM (1953- )
Aux frontières du cinéma de genre
Avec Dead Man et Ghost Dog (1999), Jarmusch s'aventure à sa manière dans le film de genre, sans en détourner les codes à la façon des nouveaux maniéristes (les frères Coen ou Quentin Tarantino), sans les suivre non plus comme le ferait un cinéaste classique. Rompant avec le réalisme décalé de ses précédents films, il réintroduit, dans ces mythologies socioculturelles (respectivement celles qui appartiennent au western et au film noir), ses thèmes de prédilection liés à l'intrus, à l'étranger au sens camusien du terme, aux dialogues difficiles entre les cultures... Dead Man se situe au milieu du xixe siècle et met en scène un naïf employé (interprété par Johnny Depp pour qui Jarmusch a écrit le film) persécuté par un patron violent et qui finit par se lier d'amitié avec un Indien du nom de Nobody. Néanmoins, le film n'obéit à aucun des codes du western. Sa lenteur, les liens ambigus qui se tissent entre les personnages et l'absence de but du héros en font une sorte d'essai existentiel greffé sur le passé de l'Amérique, mais qui pourrait très bien se dérouler de nos jours. Neil Young en a écrit la musique ; cette dernière contribue à l'atmosphère lancinante du film. Deux ans plus tard, Jarmusch prépare, avec Year of the Horse, son retour à un cinéma de la quotidienneté, en filmant Neil Young et son groupe Crazy Horse en concert et dans la vie. Pour la première fois, le cinéaste, dont toute l'œuvre s'ancrait jusque-là dans un rapport très personnel aux communautés jeunes, celles qui se réclament de la culture rock urbaine, brosse le portrait d'un vétéran de cette scène, et anticipe sur le personnage de Don Johnston dans BrokenFlowers. En 2016, avec Gimme Danger, Jarmusch honore un autre de ses compagnons de route, Iggy Pop (rencontré en 2003 lors du tournage de Coffee and Cigarettes), et son groupe de proto-punk, The Stooges (1967-1974), dont l’influence n’a cessé de grandir.
Ghost Dog se révèle, quant à lui, plus proche du thriller que Dead Man ne l'était du western. Un tueur à gages afro-américain, interprété par Forest Whitaker, est mis sur la touche, car, en exécutant un contrat, il a laissé un témoin gênant en vie. Le thème du chasseur imprudent qui devient une proie parcourt le genre : Le Samouraï de Jean-Pierre Melville et La Marque du tueur de Seijun Suzuki, tous deux de 1967, s'y réfèrent. Toutefois, de nombreuses autres greffes culturelles font de Ghost Dog un film à part dans la trajectoire de Jarmusch. Le tueur, taciturne et solitaire, lit et cite de manière compulsive Hagakuré, Le Livre secret des samouraïs, un ouvrage japonais du xviiie siècle. Et, si GhostDog ressemble aux personnages sans ancrage qui peuplent l'univers de l'artiste depuis Permanent Vacation, la vogue de la culture asiatique via mangas, films, jeux vidéos et pratique de sports de combat, aujourd'hui présente dans le paysage culturel américain, se fait sentir dans le film. De plus, la musique rap composée pour le film par RZA, le chanteur du groupe Wu Tang Clan, montre que le rock et ses dérivés ne sont plus les seules sources musicales de l'œuvre de Jarmusch.
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
Classification
Média
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