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JIROFT, Iran

L'« affaire » de Jiroft a commencé comme un roman policier. Au tout début des années 2000 apparut sur le marché de l'art une série d'objets précieux – des vases en chlorite richement décorés – dont le prix pouvait atteindre plusieurs centaines de milliers d'euros. La chlorite est une roche métamorphique tendre, dont les teintes vont du gris au vert. De tels vases étaient déjà connus en petit nombre et provenaient de l'Iran du IIIe millénaire avant notre ère, et certains même de Mésopotamie. Les autorités iraniennes menèrent donc une enquête, qui aboutit près de la ville moderne de Jiroft, dans la province du Kerman, au sud-est du pays. À la suite d'une violente inondation de la rivière Halil, avaient été mises au jour des tombes qui contenaient de nombreux vases en chlorite, parfois jusqu'à plusieurs dizaines, ainsi que des statuettes et des poteries. Les habitants du lieu dégagèrent et se répartirent plusieurs centaines de ces tombes. La proximité d'une des voies de l'opium afghan les mit en contact avec des trafiquants, auxquels ils monnayaient leurs trouvailles. La découverte de la source du trafic ne se fit donc pas sans tensions, et l'armée dut être envoyée sur place. Un travail de sensibilisation à des rudiments d'histoire et d'archéologie fut mené auprès des habitants, si bien que de nombreux objets furent restitués. Mais des destructions irrémédiables avaient été commises, tous les squelettes, par exemple, ayant été dispersés.

Les fouilles d'une civilisation urbaine

C'est en 2002 que commencèrent des fouilles scientifiques, sous la direction de Youssef Madjidzadeh, qui sut s'entourer d'une équipe internationale, où collaborent notamment des archéologues américains, français et italiens. Au-delà de ses préventions envers les vestiges pré-islamiques, la République iranienne était consciente des enjeux nationaux, mais aussi touristiques, que ne manqueraient pas de susciter une telle entreprise. Délaissant les nécropoles, les fouilles se concentrèrent sur les vestiges architecturaux du site de Konar Sandal, près de Jiroft, qui présentait tous les caractères d'une véritable ville. Celle-ci semble s'être étendue sur au moins une centaine d'hectares. Deux vastes buttes marquaient les vestiges d'une citadelle, d'une part, et d'une vaste plate-forme cérémonielle, de l'autre, cette dernière étant considérée par les fouilleurs comme l'ancêtre des « tours à étages », les ziggourats mésopotamiennes. Cette ville n'était pas seule, puisque le long du bassin de l'Halil plus d'une centaine de sites ont été depuis lors repérés.

La région du Kerman et sa périphérie n'étaient pas inconnues des archéologues. Diverses fouilles, conduites notamment sur les sites de Tepe Yahya ou Shahdad, ou un peu plus à l'est à Shar i Sokhta dans le Baluchistant iranien, avaient révélé depuis plusieurs décennies un âge du bronze florissant au IIIe millénaire. Mais Jiroft marque indubitablement un changement d'échelle. Les fouilles et les prospections électromagnétiques ont révélé de vastes bâtiments ainsi qu'un ensemble urbanistique. Certaines façades étaient rehaussées de statues peintes en brique crue. Jiroft devient comparable, à la même époque, aux premières grandes cités d'Égypte et de Mésopotamie. La découverte de trois tablettes d'argile couvertes d'une écriture inconnue, et datées entre 2600 et 2400 avant J.-C., renforce ce statut étatique et urbain. La civilisation de Jiroft (ou de l'Halil Rud) cesse d'apparaître comme une périphérie lointaine de la Mésopotamie pour s'intégrer dans un vaste réseau urbain qui s'étend au début du IIIe millénaire de la vallée de l'Indus jusqu'en Égypte, en passant par le sud-ouest de l'Iran[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite à l'université Paris-I-Panthéon-Sorbonne et à l'Institut universitaire de France

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