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BELLAY JOACHIM DU (1522-1560)

Joachim du Bellay n'a jamais eu à subir, comme Ronsard et Villon, un purgatoire de trois siècles avant d'être réhabilité en grande pompe. Il n'a jamais tout à fait cessé d'avoir des lecteurs, même à l'époque où tout ce qui était antérieur à Malherbe paraissait a priori suspect aux gens de goût. Mais on peut se demander s'il a été servi ou desservi par ce privilège insolite. Car l'absence de contestation a eu un résultat prévisible : l'image de Du Bellay n'a pas varié au cours des siècles. Faute de remise en question, elle s'est cristallisée autour d'une sorte de canon établi dès la fin du xvie siècle, et qui implique une hiérarchie de valeurs pour le moins contestable. Les Regrets ont été mis en pleine lumière, et à l'intérieur des Regrets tout ce qui relève du descriptif, du pittoresque. Les Antiquitez de Rome ont été reléguées au second plan, réduites au rôle de corridor ou de voie d'accès à un édifice plus noble – et là encore la critique du xixe et de la première moitié du xxe siècle a opéré une sélection au profit des sonnets descriptifs ou rhétoriques et au détriment de ceux qui ont une beauté moins voyante. Quant à l'admirable séquence du Songe, avec son arrière-plan d'Apocalypse, elle a été mise entre parenthèses. Dans sa thèse classique de 545 pages, Henri Chamard lui consacre exactement seize lignes, et trois pages aux Sonnets de l'honnête amour jugés incompréhensibles. En sorte que Du Bellay, amputé de tout ce qui évoque le néo-platonisme, la poésie métaphysique, la Bible, l'hermétisme, réduit à un format scolaire, est devenu un auteur sans problèmes, un prototype de la clarté française, admiré pour ses qualités d'élégance et la simplicité linéaire de ses contours, dans un siècle de poésie obscure.

Du Bellay et ses contemporains

Situer Du Bellay parmi les contemporains pose aussi des problèmes, car on ne saurait le limiter au statut de brillant second. Et, pourtant, ce n'est pas sans raison que l'ordre des armées distingue habituellement le chef et le porte-drapeau. Au milieu de la « Brigade » que Ronsard a mise sur orbite, il n'y a qu'un seul chef, Ronsard lui-même, qui s'impose par sa puissance créatrice, l'abondance de ses dons, sa confiance en lui, son habileté de carriériste. Mais il y a aussi consensus, chez les contemporains, sur l'attribution du rôle de porte-drapeau au rédacteur du manifeste que fut la Deffence et illustration de la langue françoyse. Parmi tous ces jeunes gens en pleine effervescence mais pas encore confirmés, Joachim était le seul à avoir une solide formation juridique ; il était aussi le meilleur manipulateur d'idées et le polémiste le plus efficace. Surtout, il était le seul à porter un grand nom, au moment où ses cousins, illustres, les frères Du Bellay, jouissaient de la plus grande faveur. Aucun d'eux n'était indifférent : le cardinal Jean, diplomate de première importance et lieutenant général préposé à la défense du Nord en 1536 ; René, évêque du Mans, mécène lui aussi, bien que sur un moindre train, protecteur de Peletier du Mans et, par là même, intermédiaire entre Joachim, Peletier et Ronsard ; Martin, le plus jeune, continuateur des Mémoires commencées par son illustre aîné, Guillaume seigneur de Langey, qui a été peut-être le plus grand homme d'État français du xvie siècle, le plus efficace et le plus intègre.

Bien pourvu du côté des relations de famille, Joachim ne l'est guère sur le plan personnel. Chétif, orphelin très jeune, surveillé de loin par un frère plus âgé et indifférent, il traînera toujours avec lui un poids de frustrations trop lourd pour son hypersensibilité d'écorché vif et se montrera aussi capable de tendresse que de causticité et d'insolences de timide. Ajoutons à cela son[...]

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Écrit par

  • : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen

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