BELLAY JOACHIM DU (1522-1560)
« L'Olive »
Suprême habileté : la publication simultanée de la Deffence et du recueil de sonnets de L'Olive permettait d'offrir au public la doctrine avec la mise en œuvre, et quelques mois plus tard les Odes de Ronsard portaient au comble cette démonstration du mouvement par la marche. On ne pourra plus, désormais, refuser à la langue française l'aptitude à se prêter aux grands sujets et au grand style. Avec L'Olive, Joachim du Bellay dote la littérature française de son premier recueil de sonnets, un recueil dont l'inspiration n'est pas seulement amoureuse mais aussi métaphysique, et parfois mystique. À tout moment, le jeu des métaphores et des analogies met en branle les mythes d'Hésiode, plus particulièrement celui de la création du monde par l'Amour, « le premier-né des dieux », fécondant le Chaos. L'accouplement d'Éros et du Chaos est invoqué successivement pour figurer la genèse de l'Univers, le modelage de la personnalité adulte que l'amour fait sortir de l'enfance, la naissance de l'ordre et de la paix après la guerre, ou la création de l'artiste. À ce mouvement descendant de l'esprit vers la matière correspondent, en sens inverse, les tropismes de l'âme incarnée, nostalgique de son lieu d'origine, toujours à la recherche d'une issue hors de soi, et d'une quête de l'Idée platonicienne dont la beauté des créatures terrestres n'est que l'ombre portée :
Là, ô mon âme, au plus haut ciel guidée Tu y pourras reconnaître l'Idée De la beauté qu'en ce monde j'adore (Olive, 113).
Ici, comme dans tout le recueil, Du Bellay suit le sillage de Marsile Ficin, le néo-platonicien italien dont les traités et les traductions de Platon – fortement interprétées – faisaient autorité. Les amants, écrivait le Florentin, « ignorent ce qu'ils désirent ou ce qu'ils cherchent, car ils ne savent pas ce qu'est Dieu, dont la saveur cachée a répandu dans ses œuvres un parfum très doux. Nous sentons l'odeur mais nous ignorons absolument la saveur ». Les XIII Sonnets de l'honnête amour, publiés en 1553, pousseront le néo-platonisme jusqu'à l'incandescence, mais même dans le dernier tiers de L'Olive on peut voir le discours amoureux insensiblement glisser vers le mysticisme. Le sonnet 108 aurait pu être écrit par un carme :
Viens éveiller ce mien esprit dormant D'un nouveau feu brûle moi jusqu'à l'âme.
Quant aux sonnets 109 et 111, ils tirent leur inspiration pour moitié d'une source italienne et pour l'autre moitié d'un psaume.
Le parfum d'Italie qui flottait sur le livre s'évapore à mesure qu'on approche de la fin, quand Platon et saint Jean se font davantage sentir que Pétrarque. Mais même les sonnets qu'on pourrait croire italianisants jusqu'au pastiche, à en croire les notes des éditions critiques, ont une touche personnelle qui ne tient pas à l'enchaînement des énoncés mais à la création de nouveaux champs de forces qui gouvernent la répartition des images et des phonèmes, orientant le désir et les craintes vers des circuits inattendus. Ainsi la trame du sonnet sur « l'âme de l'Univers » (Olive, 64) est-elle bien empruntée à Zancaruolo – mais à l'exception de l'essentiel, de l'admirable image du « temple aux yeux ouverts » courbé sur la planète, et de celle de l'âme cosmique « sondant le creux des abîmes couverts ». Ce sont précisément de telles images qui donnent au sonnet sa phosphorescence poétique.
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Écrit par
- Gilbert GADOFFRE : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen
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