BELLAY JOACHIM DU (1522-1560)
Du Bellay à Rome
Le séjour en Italie va bouleverser la vie de Joachim en lui offrant des responsabilités, des facilités de vie, des contacts internationaux, ainsi qu'une autre vue de l'histoire, du monde et du destin. Il ne faut surtout pas se fier aux propos de ce perpétuel anxieux qu'est l'auteur des Regrets, toujours prêt à se croire frustré, rabaissé. Il a réussi à faire croire à ses biographes qu'il n'avait été à Rome qu'un malheureux secrétaire accablé de travaux, avant de revenir aussi pauvre qu'il était parti, alors que ses bénéfices ecclésiastiques (reçus grâce au cardinal Du Bellay) lui permettront de vivre très honorablement à Paris les dernières années de sa courte vie. Et à Rome même, dans la maison du cardinal, il y a bien des secrétaires, mais sous ses ordres. Quant à Joachim, il est une manière de chef de cabinet du personnage le plus important de Rome après le pape, puisque Jean du Bellay est doyen du Sacré Collège, et que les actes notariés intitulent le poète « procureur et vicaire général tant en spirituel qu'en temporel » du doyen du Sacré Collège. Il a la haute main sur une maison de cent huit personnes et trente-sept chevaux, sur la gestion des finances du cardinal, sur les rentrées de ses revenus français, sur la préparation des dossiers de consistoires. Il s'est plaint de tout ce travail, mais le régime ne lui a pas mal réussi puisqu'il n'a jamais autant ni mieux écrit que pendant ces quatre années d'exil.
Bien que Du Bellay soit toujours resté pour ses contemporains le poète de L'Olive, les Regrets doivent à leur facilité de lecture et à leur style décontracté d'avoir conservé une popularité plus longue et plus étendue. Ils ont donné à Joachim l'exutoire qui manquait à ses dons de polémiste décapant, que la Deffence et la préface goguenarde de L'Olive n'avaient pas épuisés. Il pourra disposer désormais d'un champ d'opérations plus vaste et de cibles plus pittoresques. L'antipapisme gallican attend toujours une occasion de faire surface, et ce milieu de siècle fut une pépinière d'occasions, avec une cour romaine plus corrompue encore que celle des Borgia, et ses trois papes inoubliables : l'infâme Jules III auprès duquel Henri III eût fait figure de saint ; un authentique saint et réformiste, Marcel II, élu par surprise et empoisonné au bout de quelques semaines par les partisans du statu quo ; Paul IV, enfin, irréprochable mais intégriste, paranoïaque, chambré par d'abominables neveux, et qui laissera derrière lui un État pontifical à feu et à sang. Huit sonnets particulièrement corrosifs (Regrets, 105 à 112) furent auto-censurés et imprimés sur un encart que les privilégiés pouvaient glisser dans leur exemplaire de librairie.
Mais il y a bien d'autres choses dans les Regrets que la ville pontificale. Par le jeu des dédicaces se construit un ensemble succulent de dialogues avec les amis de Paris, Daurat, Ronsard, Morel, Baïf, Peletier, Jodelle ; le livre se présente aussi comme un journal intime de poète, avec quelques-uns des plus beaux sonnets de nostalgie de la littérature française (Regrets, 6, 17, 41) et les tonalités baudelairiennes de l'étonnant sonnet à la princesse Marguerite (Regrets, 166) :
Dans l'enfer de mon corps mon esprit attaché Et cet enfer, Madame, a été mon absence...
N'oublions pas, sur le chemin du retour, le véritable journal de voyage qui nous conduit de Rome à Urbino, de Venise aux Grisons, de Genève à Lyon et Paris, et cette annexe que représentent les « Sonnets au quidam », témoignages d'une répulsion encore plus forte pour la théocratie genevoise que celle que lui avait inspirée la ville des papes.
D'un bout à l'autre de ce livre court un mythe sous-jacent et qui périodiquement fait surface : le mythe d'Ulysse et[...]
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Écrit par
- Gilbert GADOFFRE : ancien professeur à l'université de Berkeley, professeur émérite à l'université de Manchester, fondateur de l'Institut collégial européen
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