KÜHN JOACHIM (1944- )
Grand voyageur, Joachim Kühn franchit les frontières avec la même insouciance qu'il transgresse les barrières esthétiques. Alors que tant d'autres sombrent alors dans une versatilité insignifiante et superficielle, le pianiste allemand sait préserver son tempérament naturel et ses exigences artistiques. Dans un parcours qui peut sembler erratique, une connaissance approfondie des partitions classiques, notamment des œuvres écrites du xxe siècle, donne à son jeu libertaire des assises techniques et expressives d'une sûreté peu fréquente au royaume du jazz.
Joachim Kurt Kühn naît le 15 mars 1944 à Leipzig. Élevé en République démocratique allemande, il étudie le piano classique mais aussi la théorie et la composition avec Arthur-Schmidt Elsey (1949-1961), et commence très jeune par se produire comme soliste dans les pages majeures du grand répertoire classique. Sous l'influence de son frère aîné Rolf Kühn, clarinettiste de jazz, il entame à l'âge de dix-sept ans une carrière de jazzman professionnel : dès 1961, il devient à Prague le pianiste du S & H Quintet, formé par le Tchèque Karel Velebný, et il apparaît en 1963 au Jazz Jamboree de Varsovie. De 1962 à 1966, il dirige son propre trio, et s'affiche comme l'un des premiers défenseurs du free-jazz en Allemagne de l'Est, position qui est évidemment très inconfortable (Joachim Kühn Trio, 1965).
En 1966, il participe à Vienne à un concours international qu'organise l'inclassable Friedrich Gulda, et profite de ce séjour à l'Ouest pour refuser, après les épreuves, de regagner la R.D.A. Première étape d'une longue errance, Hambourg (1966-1969), où il partage avec son frère la direction d'un quartette de free-jazz qu'il fait applaudir aux Berliner Jazztage et, en 1967, au festival de jazz de Newport. Le quartette enregistre à New York, pour Impulse, l'album Impressions of New York, avec le bassiste de John Coltrane, Jimmy Garrison, et Aldo Romano (1967). Joachim Kühn se produit avec de nombreux musiciens et groupes : au sein d'un quintette avec son frère, Aldo Romano, Bab Guérin et Karlhanns Berger (Transfiguration, 1967), avec The Mad Rockers (The Mad Rockers, 1968), avec Don Cherry (Eternal Rhythm, 1968)... Suit un séjour parisien (1969-1971), pendant lequel Joachim Kühn anime un nouveau groupe, joue du saxophone alto et travaille avec un large éventail de musiciens : Gato Barbieri, Don Cherry, Karl Berger, Slide Hampton, Philly Joe Jones, Phil Woods, Michel Portal (Our Meanings and Our Feelings, 1969), Eje Thelin (Acoustic Space, 1970), Helen Merrill, Stan Getz... Il enregistre en solo (Piano, 1971 ; Solos, 1971), appartient au groupe Jean-Luc Ponty Experience (Open Strings, 1971) et devient, aux claviers électroniques, un des protagonistes du jazz-rock européen, aux côtés de Philip Catherine, Zbigniew Seifert et Aldo Romano. Parallèlement, mais sur un instrument plus classique, il forme avec Jean-François Jenny-Clark et Daniel Humair l'un des trios les plus importants de cette période.
Joachim Kühn se fixe pour un temps en Californie. Il s'immerge provisoirement dans le mouvement « fusion » de la West Coast et rejoint pour quelques séances d'enregistrement des personnalités aussi diverses qu'Alphonse Mouzon, Billy Cobham, Eddie Gomez et Michael Brecker. Après une brève escale à New York, il revient à Hambourg. Il va désormais s'exprimer principalement sur un grand piano acoustique Bechstein. En ce début des années 1980, son jeu s'inspire beaucoup de la musique savante contemporaine née sur le Vieux Continent. Mis à part une nouvelle expérience de « jazz de chambre » – I'm not Dreaming (1983), avec notamment George Lewis et Mark Nauseef –, il enregistre surtout des solos instrumentaux (Snow in the Desert en 1980, Distance en 1984, Wandlungen/Transformations en[...]
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Écrit par
- Pierre BRETON : musicographe
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