MIRÓ JOAN (1893-1983)
Quel est donc cet artiste de soixante-dix-sept ans à qui furent confiées en 1970, à l'Exposition universelle d'Osaka, la conception et la réalisation du pavillon du Rire ? Joan Miró, peut-être l'artiste le plus juvénile et le plus grave du xxe siècle. Le plus grave ? Tout le monde ne sait-il pas que Miró, ce sont les oiseaux faits de deux faucilles de couleurs, les femmes réduites à une drôle d'amande velue, tout un univers impondérable et souriant ? Paradoxalement, pourtant, l'œuvre de Miró, qui semble le fruit naturel d'une euphorique facilité, a été conquise pied à pied au prix d'une série de douloureuses décisions. À cela sans doute elle doit son incomparable verdeur...
Rarement on aura vu enfant si peu doué pour le dessin ! D'où un long et pénible apprentissage du « faire » académique. Mais ce « faire » si laborieusement acquis, le voici porté, lors de la période « détailliste », à se ronger lui-même, rongé par son propre perfectionnisme. Et Miró, sur les ruines de ce qui lui a tant coûté à acquérir, s'enivre des alcools neufs de l'automatisme surréaliste et recommence la peinture de zéro. Tout ce qu'il peint alors respire la joie la plus aérienne. Ce que l'on ignore généralement, c'est qu'il exprime, ce faisant, des hallucinations provoquées par la faim. La vraie faim : celle qu'on ne peut rassasier...
Lutte incessante contre l'adversité ou contre soi-même, contre la difficulté ou contre la facilité de la peinture, contre la misère ou contre le succès. Il suffira sans doute à Miró de s'entendre proclamer le plus grand coloriste depuis Matisse pour faire retraite dans de vastes toiles monochromes ou blanches comme de voir louer ses vertus picturales pour s'adonner exclusivement, des années durant, avec son ami Artigas, à la céramique (ou aux objets, aux sculptures). Tel est ce petit homme rond, jovial et secret auquel, selon André Breton, « le surréalisme doit la plus belle plume de son chapeau » et l'art de notre temps, à n'en pas douter, sa plus fraîche lumière.
Sur la route de Montroig
Miró naît en 1893 à Barcelone, où son père est orfèvre et horloger. Il a peu de goût pour les études, et ne se plaît qu'au cours (facultatif) de dessin. À son extrême gaucherie, il remédie par une description minutieuse des objets. Plus tard, Francisco Gali lui fera dessiner des choses qu'il ne voit pas (il les tient dans sa main, derrière son dos). Car, d'instinct, Miró est prédisposé à décrire non point ce qu'il voit ni ce qu'il touche, mais ce qu'il rêve. Aussi l'injonction d'André Breton : « L'œuvre plastique se référera donc à un modèle purement intérieur, ou ne sera pas » (1925), lui paraîtra-t-elle, en somme, aller de soi. L'entêtement paternel lui vaut de se retrouver, à dix-sept ans, commis aux écritures dans un grand magasin de produits exotiques, où il manque périr d'ennui. Il tombe gravement malade, et on l'envoie reprendre des forces dans une ferme que ses parents viennent d'acheter à Montroig, dans la campagne catalane. Pour le jeune homme, c'est le salut. Montroig jouera désormais un rôle quasi magique pour Miró qui, chaque été, viendra y reprendre contact avec la terre de Catalogne. En 1912, il peut enfin suivre sa vocation et entre à l'académie libre fondée par Gali. Il découvre alors la peinture moderne : Van Gogh, les fauves, les cubistes, l'impressionnent le plus. Ses premières œuvres originales, à partir de 1915, font la synthèse entre un schématisme inspiré du cubisme et l'intensité chromatique du fauvisme. Mais la brutalité, la grossièreté presque, des œuvres de cette époque ne le satisfait pas. Commence alors, en 1918, l'étonnante période « détailliste » où chaque paysage subit une analyse maniaque à[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- José PIERRE : directeur de recherche au C.N.R.S., docteur ès lettres
Classification
Autres références
-
ADRIÀ FERRAN (1962- )
- Écrit par Jean-Claude RIBAUT
- 1 461 mots
...modifiés, disparaissent, réduits à l'état de textures, d'espuma (écume) et de gélatines aux arômes artificiels. On songe aux surréalistes catalans, à Miró plus qu'à Dalí, qui se revendiquait « Catalan universel », explorant à la fin de sa vie les possibilités de la sculpture gazeuse et de la peinture... -
ARTIGAS JOSEP LLORENS (1892-1980)
- Écrit par José PIERRE
- 790 mots
-
LEIRIS & CO (exposition)
- Écrit par Pierre VILAR
- 1 136 mots
...de cartes les facettes de ce crâne arrondi partout identifiable, portrait de l’écrivain en ami du cubisme et fraternel complice. Sur le même palier, Miró se détache par une toile importante de l’automne 1924, cette Baigneuse dont l’auteur fit l’acquisition, fait rarissime dans le cours d’une vie... -
POLLOCK JACKSON (1912-1956)
- Écrit par Yve-Alain BOIS
- 2 491 mots
...réflexions sur la nécessité d'abandonner la peinture de chevalet. À travers des revues comme Cahiers d'art, il découvre l'art de Picasso et de Miró (« les deux artistes que j'admire le plus ») et les théories des surréalistes, qui allaient bientôt débarquer à New York. Des premiers, il goûte surtout...