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MITCHELL JOAN (1926-1992)

Joan Mitchell est née à Chicago le 21 février 1926 d'une mère poète et d'un père médecin qui « dessinait un peu comme Lautrec ». « J'étais déchirée », dira-t-elle dans un entretien accordé en 1982 à Suzanne Pagé et Béatrice Parent, « car je faisais aussi de la poésie et vers onze ans j'ai dû choisir ». Avant d'entrer à la School of the Art Institute à Chicago (1944-1947) elle avait déjà manifesté son intérêt pour les arts plastiques (aquarelles et lithographie) mais elle s'était aussi éprise d'un poète romantique anglais, William Wordsworth, dont on peut dire que les convictions ne sont pas étrangères à l'art de Joan Mitchell. Qu'on lise ces vers extraits des Ballades lyriques : « Le poète est charmé par de telles visions,/Pourtant, insoucieux de cette nuit qui tombe,/il croit que leurs couleurs pour toujours dureront,/jusqu'à ce que la paix l'accompagne à la tombe. », et l'on s'aperçoit que le poète lakiste cherche à saisir dans le mouvement ininterrompu des phénomènes de la nature ce point immobile, venu de l'enfance, où la sensation condense l'expérience du monde et se met à l'abri du temps, tout comme Joan Mitchell tentait d'arracher ses œuvres au cours du temps et cherchait à fixer avec sa touche , souvent si nerveuse, tout autre chose qu'un fragment de paysage : une essence de sensation.

Il n'est sans doute pas inutile de considérer quelles furent ses fréquentations artistiques. Adolescente cultivée, elle découvre très tôt à l'Art Institute les œuvres de Manet, Cézanne, Monet, Seurat avant de se familiariser au cours de ses études avec celles de Kandinsky et Matisse, puis d'Arshile Gorky et de Cézanne. Plus que de Monet dont on a parfois tendance à la rapprocher, peut-être parce qu'elle a choisi de vivre à partir de 1967 à Vétheuil, tout à côté de Giverny où Monet peignit ses nymphéas, elle se sent proche de Cézanne. À regarder attentivement les tableaux de Joan Mitchell, on découvre que la construction n'en est jamais totalement absente et que cette persistance d'une structure apparaissant en filigrane, comme dans Faded Air I (1985, coll. Thomas et Darlene Furst) ou la série de La Grande Vallée (1983), ou explicitement comme dans les série des Champs (1990) ou de Tilleul (1978), respectivement ordonnés en damier et en faisceau, l'apparente au cubisme et à son grand précurseur. Enfin il ne faut pas oublier que la rencontre déterminante, celle qui instilla en elle, peut-être plus que toute autre, la tentation de peindre, c'est Van Gogh, l'artiste plus forcené qu'habile, qui se laisse captiver par les intensités chromatiques au point que le motif en est emporté dans la tourmente d'un art qui a largué ses amarres. Cette admiration de Joan Mitchell pour Van Gogh fait mesurer tout ce qui la sépare de l'idylle impressionniste, du paysage délicatement soumis aux variations atmosphériques. S'il existe dans l'œuvre du peintre américain un reliquat d'harmonie, alors c'est une harmonie lacérée, griffée, attaquée, maculée par une agressivité si visible sur ses toiles mais qui, dit-on, ne passait pas non plus inaperçue dans les rapports qu'elle entretenait avec ses congénères. On ne saurait pourtant l'affilier aux expressionnistes, fussent-ils abstraits, qui ont interprété Van Gogh dans des termes existentiels. La peinture de Joan Mitchell n'est pas l'expression d'un moi, d'une intériorité, d'un drame existentiel. On pourrait dire que cette peinture se tient entre le moi et le monde, comme une langue de signes, comme une écriture.

On ne peut à cet égard qu'être d'accord avec Patrick Waldberg, auteur du principal livre qui soit consacré au peintre dans le domaine français (La Différence, 1992), quand il affirme que la[...]

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