TIMONEDA JOAN (1518?-1583)
Né à Valence, ce tanneur, devenu libraire vers 1547, se fait connaître à partir de 1553 en éditant ses œuvres ou celles de ses amis. À sa mort, il jouit d'une confortable aisance dont témoigne son testament. Cette biographie embourgeoisée et sa culture d'autodidacte boulimique ont pu conduire certains historiens à le qualifier d'« honnête boutiquier » ou de « vulgarisateur de profession » (H. Mérimée). Une plus juste estimation de sa double activité d'éditeur et d'écrivain permet de le situer parmi les médiateurs fondamentaux de l'« esprit nouveau », à Valence comme dans l'ensemble d'un royaume que Philippe II s'emploie à centraliser. Timoneda le Valencien écrira en castillan pour un public dont il devine et partage les aspirations à une culture non académique, mieux intégrée à trame des travaux et des jours. Il comprend et défend la modernité du théâtre de Lope de Rueda, acteur et directeur de troupe, assurant la survie de textes voués à l'éphémère existence de la représentation : éditions de El Deleytoso, 1567 ; Registro de representantes, 1570, recueils de pasos (intermèdes) ; et des Quatre Comédies et deux colloques pastoraux, 1566. Cette initiative, d'une importance considérable, ne doit pas faire oublier le rôle tenu par Timoneda, expérimentateur de toutes les voies de la création littéraire. Il contribue au large mouvement de fixation et d'évolution des Romances : Rosa Gentil, Rosa de Amor, Rosa Española (1573). Ces florilèges, où figurent encore les vieilles ballades médiévales, marquent la transition vers un romancero nouveau, source fondamentale de la comedia lopesque. Plus que les recueils d'historiettes plaisantes (Sobremesa y alivio de caminantes, 1563 ( ?), El Buen Aviso y portacuentos, 1564), les nouvelles du Patrañuelo, 1566, constituent un jalon important dans l'évolution de la prose romanesque du xvie siècle. Sans prétendre égaler les innombrables modèles dont s'inspire sa marqueterie de contes et de récits italiens ou gréco-latins, Timoneda y affirme un ton familier, humoristique, un plaisir de la péripétie et des dénouements heureux qui imposent la présence d'un auteur dont l'imaginaire s'assombrit parfois de cruauté et de violence enracinées dans les mythes. Ce goût du romanesque et du tragi-comique quotidien se retrouve dans son théâtre. Inspirées de Plaute et des Italiens, mais transposées à Valence, les Trois Comédies (1559) marquent une rupture avec les imitations de la Célestine et les poèmes tout aussi injouables des humanistes. Timoneda, qui fut acteur, affirme la primauté du critère de représentabilité, soulignant ainsi la spécificité de la création dramaturgique. L'influence de Lope de Rueda est évidente dans les pasos, farces et comédies en vers de la Turiana (1564), où la veine folklorique des contes et fabliaux rencontre l'inspiration plus savante des tragédies antiques, formule très efficace dans sa brutalité de retable primitif. Le théâtre religieux, Ternario espiritual (1558), qui se réfère à Torres Naharro (Auto del Nacimiento), propose un modèle dans le genre si particulier à la péninsule Ibérique qu'est l'auto sacramental, La Oveja perdida (La Brebis égarée), variation sur la parabole du Christ transposée dans l'univers conventionnel de la pastorale, qui conserve toutes les séductions de sa feinte naïveté. Au carrefour des voies empruntées par Cervantes, Lope de Vega, Calderón, on trouve le modeste et chaleureux libraire valencien pour qui vivre la littérature et en vivre était conciliable, en toute cohérence.
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Écrit par
- Bernard GILLE : agrégé d'espagnol, maître assistant à l'U.E.R. d'études ibériques de l'université de Paris-IV
Classification
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