ROBINSON JOAN VIOLET (1903-1983)
Les années de l'entre-deux-guerres ont pu être qualifiées d'années de la haute théorie, tant cette période de stagnation et de crise a été cruciale pour le renouvellement de la pensée économique dans tous les domaines, qu'il s'agisse de la théorie de la valeur, de l'analyse monétaire ou de la compréhension du mécanisme des cycles et de la croissance. À ce renouvellement est associé le nom de Joan Robinson. Avec Richard Kahn, John Maynard Keynes, Piero Sraffa et d'autres aussi, elle anime par ses recherches et son enseignement ce qui deviendra l'école de Cambridge, dont l'influence reste considérable pour la critique de l'économie néoclassique.
Les contributions les plus significatives de Joan Robinson ont trait à une reconsidération de la théorie de la valeur et à la révision du concept d'équilibre à partir de laquelle est élaborée une critique radicale des théories néoclassiques de la production et du capital. Ces contributions sont articulées dans un projet de synthèse, ambitieux mais inachevé, entre les apports de Ricardo et ceux de Keynes.
Joan Robinson propose une reconsidération de la théorie de la valeur dans un ouvrage (The Economics of Imperfect Competition, Macmillan, Londres, 1933) qui pose les premières bases d'une théorie de la concurrence imparfaite, en continuité et en harmonie avec le travail de pionnier réalisé par Piero Sraffa sur les lois de rendements et la concurrence. Avec Joan Robinson, la théorie de la valeur perd cette simplicité liée à l'analogie autrefois réalisée avec la mécanique, et procède désormais d'une taxonomie : autant que l'on puisse définir la notion d'industrie, la demande pour le produit de cette industrie peut prendre une infinie variété de formes, elle peut aussi évoluer de différentes manières ; il en va de même pour les coûts de production, de telle sorte que prix et quantités sont le résultat d'interactions complexes dont seule une taxonomie peut donner une image claire et compréhensible. La dimension temporelle intervient alors, dans une discussion sur le rôle des rendements d'échelle croissants qui permet notamment à Joan Robinson de s'interroger sur la part qui revient, dans la coordination de l'activité économique, aux mécanismes du marché, d'une part, et aux mécanismes internes à l'entreprise, d'autre part. Ce sont les bases de ce qu'il est convenu d'appeler l'économie industrielle qui sont ainsi établies.
Joan Robinson perçoit dans la révolution keynésienne, à laquelle elle participe, cet élément décisif qu'est la révision du concept d'équilibre ; elle l'utilisera pour établir une critique radicale des conceptions néoclassiques de la production, du capital et de la croissance, et pour définir ce que l'on doit entendre par dynamique économique. Pour Joan Robinson, l'équilibre de longue période est un état imaginaire des affaires, hors du temps historique, où passé, présent et futur sont par définition parfaitement compatibles, et au regard duquel la question de la convergence (ou de la stabilité) est dénuée de fondement. Joan Robinson se sépare à la fois des économistes néoclassiques modernes, tel Paul Samuelson, et des économistes classiques ou néo-ricardiens, qui considèrent que les prix de production constituent le centre de gravité des prix de courte période. Ce double rejet se situe dans la tradition keynésienne ; il procède d'une démonstration selon laquelle une économie non régulée ne contient aucun mécanisme dynamique qui la fasse tendre vers une position d'équilibre général. Dès lors, Joan Robinson peut maintenir l'originalité du message de Keynes en mettant l'accent sur une interprétation en termes de courte période caractérisée par l'incertitude, l'incompatibilité des plans et l'erreur des anticipations. La monnaie est ainsi rétablie dans son rôle essentiel de lien interpériodique,[...]
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Écrit par
- Jean-Luc GAFFARD : professeur de sciences économiques à l'université de Nice
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...le cadre d'une technique donnée. Autrement dit, lorsque le ratio de répartition change, le rapport K/L se modifie mais la fonction F reste la même. Selon Joan Robinson, cela constitue une aberration, car une entreprise ne change jamais son stock de capital sans modifier sa technique de production....