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MONTEIRO JOÃO CESAR (1939-2003)

À partir de la fin des années 1980, le metteur en scène portugais João Cesar Monteiro s'est confondu avec son personnage de Jean de Dieu, auquel il offrait sa longue carcasse osseuse et son visage décharné, parfois orné d'un monocle. Égotiste et libertin, moraliste et obsédé sexuel, il développait ses variations autour de cette figure de penseur misanthrope, d'érotomane épris de jeunes beautés.

Après un premier film dont il commence le tournage en 1965 et qui ne sera achevé qu'en 1970, Quem Espera por Sapat de Defunto More Delcalçoas (Qui attend les chaussures d'un défunt meurt pieds nus), où déjà se révèle une imagination singulière, Monteiro poursuit avec Veredas (1977), Silvestre (1981), A Flor do Mar (1986). Dans un cinéma portugais dominé par la figure tutélaire de Manoel de Oliveira, il va inaugurer avec Souvenirs de la maison jaune une voie iconoclaste. Le film est présenté avec succès au festival de Venise en 1989, où il obtient le lion d'argent. Détournant à son profit le nom du fondateur de l'ordre des Frères hospitaliers, Monteiro y invente le personnage de Jean de Dieu qu'il va désormais transporter dans La Comédie de Dieu (1995), également primé à Venise, Le Bassin de J.W. (1997), Les Noces de Dieu (1998) et enfin Va-et-vient (où il prend cette fois le nom de Jean Vuvu), film achevé peu avant sa mort et présenté au festival de Cannes 2003. Mettant en scène sa propre disparition, le dandy pose sur toutes choses le regard détaché de celui qui a vécu les expériences les plus insolites. Mais il ne se lassera jamais d'admirer la beauté des femmes et de célébrer de façon quasi religieuse leur corps désirable.

Dans La Comédie de Dieu – sans doute son œuvre la plus aboutie –, Monteiro se présente sous les apparences trompeuses d'un homme civil et disert, épris de paroles sentencieuses, soucieux d'hygiène dans son travail et d'ordre dans sa vie privée. Un homme qui classe les traces d'une sexualité entomologique dans le « livre des pensées », où il recueille des poils pubiens soigneusement répertoriés. Jean de Dieu pourrait être un individu ordinaire s'il n'avait cette attirance incontrôlable pour les jeunes filles qu'il rêve de soumettre à des caprices que d'aucuns pourront juger pervers. Jean de Dieu, comme cela était clairement explicité dès Souvenirs de la maison jaune, est un doux vampire – la référence au Nosferatu de Murnau est constante – qui subjugue les femmes pour les soumettre à des jeux érotiques dans lesquels il déploie ses rêveries symboliques. Il enfreint les tabous, déstabilise l'ordre moral et le conformisme social par son refus d'intégration : sous son apparente normalité, le petit bourgeois rangé se révèle un dangereux subversif, un individualiste qui refuse l'homologation. Son art par définition « artisanal » ne saurait se mouler dans une confection en série.

Jean de Dieu est imprévisible et plein d'ironie. Ce décalage du personnage et le sourd malaise qui émane de son comportement, de sa façon monacale de se tenir raide, accordant au moindre de ses gestes un souci du détail qui noie parfois l'essentiel du propos dans les digressions, guident la mise en scène du cinéaste. Adepte du plan long et fixe, Monteiro est le démiurge d'un cinéma minimaliste où le plan séquence favorise une organisation du temps inspirée des films primitifs, qui recouraient à la prise de vue frontale, proche du théâtre, pour enregistrer, en une seule fois et sans avoir besoin de montage, la scène à représenter. Dans ses films, tout exprime le refus des effets. Seuls les éléments figuratifs doivent révéler, dans leur raffinement, ce qui appartient à la complexité du suggéré, du non-dit, du fantastique.

Mélangeant fable satirique, pamphlet libertaire, bouffonnerie débridée, conte érotique,[...]

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Écrit par

  • : professeur émérite, université professeur émérite, université Paris I-Panthéon Sorbonne

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