ANDRADE JOAQUIM PEDRO DE (1932-1988)
Le réalisateur brésilien Joaquim Pedro de Andrade, né à Rio de Janeiro en 1932, consacre ses premiers courts-métrages à des intellectuels prestigieux : le sociologue Gilberto Freyre (O Mestre de Apipucos, 1959) et le poète Manuel Bandeira (O Poeta do Castelo, 1959). Il s'exerce ensuite à la fiction : Couro de gato (Peau de chat, 1960) s'attache à suivre les enfants d'un bidonville. Si le film est marqué par le besoin de dresser un constat social, on y remarque déjà des trouvailles de mise en scène qui échappent à la démonstration ou qui en font l'économie. Garrincha, alegria do povo (1963), documentaire de long métrage sur un footballeur très populaire, confirme ces qualités.
O Padre e a moça (Le Prêtre et la jeune fille, 1966) met en évidence l'originalité de l'auteur et les liens privilégiés qu'entretient désormais son cinéma avec la littérature brésilienne. Le film s'inspire d'un poème de Carlos Drummond de Andrade : dans un village du très conservateur Minas Gerais, la passion entre un jeune curé et une villageoise précipite l'éclosion des désirs refoulés et les hargnes obscurantistes. Ce sujet délicat est traité avec pudeur et lyrisme, avec un soin apporté à l'interprétation et à la description du milieu qui donne au film son ton personnel.
Le long-métrage suivant est un des chefs-d'œuvre du cinema novo et le premier film tourné par la nouvelle génération à remporter un succès public appréciable : Macunaima (1969) n'hésite pas à tendre un pont vers le comique des chanchadas, genre bouffon naguère méprisé par le cinéphile brésilien. L'un des interprètes du rôle-titre est justement une des vedettes du genre, le remarquable acteur noir Grande Otelo. Joaquim Pedro de Andrade a adapté le roman parodique de l'écrivain moderniste Mario de Andrade, où les mésaventures d'un « héros sans caractère » servent à brasser la vision caustique d'un Brésil confronté à la civilisation. Le cinéaste transpose l'action dans un présent secoué par la guérilla, tout en gardant sa dimension mythique. Son adaptation noircit la personnalité de Macunaima, introduit une critique du machisme et remplace la magie du roman par un contemporain assez concret. Cependant, Macunaima rompt sans regrets avec les conventions réalistes si pesantes sur les écrans et apporte ainsi sa contribution à ce qu'on a dénommé le « tropicalisme », une vague de fond qui a ébranlé la culture brésilienne de la fin des années 1960.
Os Inconfidentes (Les Insurgés, 1972) remonte dans le temps, jusqu'au siècle des Lumières, au moment d'une conspiration contre l'oppression coloniale. Loin de se complaire dans l'imagerie d'Épinal, Joaquim Pedro de Andrade cherche à approfondir la réflexion entamée par le cinema novo sur les rapports entre les intellectuels et le pouvoir. Les héros acquièrent une humanité et une fragilité qui les rapprochent de nous : si on laisse de côté l'époque évoquée, c'est à un véritable psychodrame mettant à nu les débats et déboires de la gauche brésilienne contemporaine que nous assistons, en pleine dictature, avec une singulière mise en cause du messianisme de l'intelligentsia.
Guerra conjugal (1974), inspiré par des récits de Dalton Trevisan, et Vereda tropical (Sentier tropical, sketch de Contos eroticos, 1977) utilisent un humour à connotations érotiques et révèlent que la libération des mœurs n'épuise pas le défi du bonheur humain. L'alchimie complexe liant chez Joaquim Pedro de Andrade politique et sensualité, individuel et collectif débouche sur l'utopie, explicitée enfin dans O Homem do Pau Brasil (1981), biographie très particulière du père spirituel du « tropicalisme », l'écrivain Oswald de Andrade.
L'œuvre de Joaquim Pedro de Andrade recèle un pessimisme assez éloigné[...]
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Écrit par
- Paulo Antonio PARANAGUA : journaliste, historien et critique de cinéma, spécialiste du cinéma latino-américain
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