SACCO JOE (1961- )
Auteur américain de bande dessinée, Joe Sacco est l'un des principaux inventeurs d'un genre encore mal défini qu'on nomme parfois « BD reportage » ou « journalisme en bande dessinée ». À la manière d'un journaliste, cet auteur se rend sur les lieux de conflits, de Gaza à Sarajevo, vit avec les victimes des guerres, recueille leurs témoignages et restitue sous forme de bande dessinée ce qu'il a vu et entendu. Créateur d'un genre bien à lui, qui mêle textes et images, mais aussi objectivité du journaliste et subjectivité de l'artiste, Joe Sacco parvient à restituer avec émotion et subtilité le drame humain de la guerre. En 2010, Gaza 1956, une enquête historique dans les territoires palestiniens occupés, a été unanimement saluée par la critique comme l'une des œuvres incontournables de l'année.
Lorsqu'il débute dans la bande dessinée au cours des années 1980, Joe Sacco (né à Malte en 1961) est encore bien loin des « reportages de guerre » qui deviendront par la suite sa spécialité. Ses études l'on certes mené vers un cursus en journalisme à l'université de l'Oregon (États-Unis), mais après quelques expériences décevantes, il se détourne de la presse pour se consacrer à la bande dessinée. L'auteur publie d'abord dans des magazines au milieu des années 1980, avant de trouver un éditeur qui diffuse ses premières histoires (Yahoo, Fantagraphics Books, de 1988 à 1992 ; édition française : Journal d'un défaitiste, 2003). Joe Sacco y maîtrise déjà parfaitement son style, très influencé par la bande dessinée underground de Robert Crumb : dessin en noir et blanc expressionniste, caricature des visages et mouvements et, surtout, choix de l'autobiographie. Joe Sacco apparaît en effet comme le personnage central de ses bandes dessinées. Affublé d'énormes lèvres et de lunettes rondes qui cachent ses yeux, il se met en scène de manière comique dans de courts récits racontant ses virées dans les bars, ses soirées de concerts ou encore ses aventures amoureuses ratées.
Rock, alcool et filles, Joe Sacco fait alors partie intégrante du milieu de la culture alternative américaine qu'il parodie avec humour. Mais, dès cette période, son histoire personnelle (sa mère avait vécu les bombardements de la Seconde Guerre mondiale à Malte) et ses études de journalisme le poussent à s'intéresser de près à l'actualité des conflits mondiaux. Au tournant des années 1990, le déclenchement de la première intifada en Palestine puis la guerre du Golfe le touchent et le scandalisent (« Comment j'ai aimé la guerre », Journal d'un défaitiste, 2004). L'implication des États-Unis dans ces conflits et le traitement partial – et partiel – qu'en donnent les médias vont le pousser à toucher de plus près la réalité : à la fin de 1991, il se rend pour quelques mois dans la bande de Gaza en pleine intifada.
À son retour aux États-Unis, Joe Sacco publie le récit de son voyage en bande dessinée (Palestine, 1993-1995, réédité en 2010). Le résultat est surprenant. Interviewant les Palestiniens sur ce qu'ils ont vu, se rendant sur les lieux des incidents, vérifiant le moindre détail, Joe Sacco a réalisé un véritable reportage sur le quotidien des habitants de la bande de Gaza avec une rigueur qui va devenir l'une de ses marques de fabrique. Mais le sérieux du sujet ne lui a pas fait abandonner pour autant cette mise en scène comique de lui-même qu'il affectionne : Palestine est aussi l'histoire de Joe Sacco, reporter naïf qui cherche la vérité. Ce procédé, qui se rapproche de celui du « journalisme en immersion », genre dans lequel la subjectivité de l'auteur fait partie intégrante du reportage, permet à Palestine de susciter l'empathie avec les Palestiniens. Par le biais d'une bande dessinée,[...]
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Écrit par
- Clarisse BOUILLET : journaliste
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