DOR JOËL (1946-1999)
Joël Dor fut l'une des figures marquantes du mouvement psychanalytique lacanien. En effet, il incarna un tournant pris dans les années 1980 par une nouvelle génération dans le rapport à l'œuvre de Lacan. La méfiance compréhensible à l'égard du projet d'enseigner la psychanalyse à l'Université, compte tenu du risque de mise en système de la théorie analytique dans une confusion des discours, fit place à la nécessité, Lacan s'étant tu, d'ouvrir des accès à cette œuvre considérable et difficile. Lacan, lui-même, avait fait le pari de Vincennes avec la création d'un département de psychanalyse. Quelques ouvrages étaient déjà parus qui présentaient très partiellement l'enseignement de Lacan, mais Joël Dor fut, sans doute, le premier à engager un travail d'envergure pour faire découvrir cette œuvre de façon raisonnée et accessible. Il publie en 1985 le premier tome de son Introduction à la lecture de Lacan, le second paraissant en 1992. Parallèlement, il établit à deux reprises une bibliographie des travaux de Lacan, dont la dernière version, parue en 1994, reste la plus complète à ce jour.
Philosophe de formation, il soutint une thèse de psychanalyse à l'université de Paris-VII sur l'épistémologie de la psychanalyse, qui fut publiée sous le titre L'a-scientificité de la psychanalyse. Partant du constat que le travail d'objectivation scientifique exclut – par principe – la subjectivité, et ne peut donc inclure la psychanalyse, il montre comment la question du sujet n'est résolue que de façon idéale dans la science. Ce faisant, il remet en cause tout spécialement le programme épistémologique de l'empirisme logique anglo-saxon, traduction la plus achevée de cet idéal d'exclusion du Sujet. Pour réintroduire ce dernier, avec la psychanalyse, dans le champ du savoir, il avance le concept de paradoxalité instauratrice, qu'il voit déjà à l'œuvre dans les mathématiques grecques avec la notion de « continu ». Par analogie avec la raisonnement d'Eudoxe réintroduisant les irrationnels dans le système des nombres, d'où les Grecs les avaient exclus en raison de leur nature incommensurable, il propose d'attribuer à la psychanalyse une valeur paradoxale fondatrice au regard du champs clos de la scientificité.
Traduites dans le monde entier, ses publications rencontrent toujours de nombreux lecteurs, et demeurent, pour les nouvelles générations, un outil irremplaçable. Pourtant, il ne méconnaissait pas la difficulté à « mettre en perspective l'enseignement de la clinique psychanalytique au regard de la transmission », c'est-à-dire à ne pas réduire l'écart entre l'enseignement et la cure. Il fut, au cours de ces deux décennies, un enseignant particulièrement apprécié de ses étudiants et élèves. À l'U.F.R. Sciences humaines cliniques de Paris-VII où il était maître de conférences, au Laboratoire de psychopathologie fondamentale et psychanalyse où il était directeur de recherches, au Centre de formation et de recherches psychanalytiques puis à Espace analytique, dont il était le vice-président, il accompagna avec rigueur et attention les nouveaux venus sur ce chemin difficile.
Ce souci de transmettre se prolongeait dans son activité éditoriale. Il anima la rédaction d'Esquisses psychanalytiques, dont vingt-quatre numéros parurent de 1983 à 1995, et venait de publier le premier numéro d'une nouvelle revue Logos<>Ananke. Depuis la disparition de Maud Mannoni, il dirigeait avec Alain Vanier la collection L'Espace analytique chez Denoël. Dans tous ces lieux, il fit preuve du même intérêt pour ce travail de transmission qui incombe particulièrement à cette génération de l'après-Lacan. Pour ceux qui partagèrent ces vingt ans d'aventures dans la communauté analytique, c'est avant tout un ami[...]
La suite de cet article est accessible aux abonnés
- Des contenus variés, complets et fiables
- Accessible sur tous les écrans
- Pas de publicité
Déjà abonné ? Se connecter
Écrit par
- Alain VANIER : psychanalyste, ancien psychiatre des hôpitaux, professeur à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot
Classification