POMMERAT JOËL (1963- )
Un « écrivain de spectacle »
Si Joël Pommerat met lui-même en scène ses créations dramatiques, ce n'est pas par coquetterie ou méfiance. Cette décision tient à l'essence même de son travail : l'écriture, chez lui, intègre les silences, les scènes parfois muettes. Le texte proposé aux comédiens – pour la plupart des complices fidèles de Joël Pommerat comme Hervé Blanc, Agnès Berthon, Saadia Bentaïeb, Marie Piemontese, Lionel Codino, Ruth Olaizola... – n'est qu'un premier jet, destiné à être modifié, en fonction de leur jeu et des éléments qui les entourent, eux-mêmes constitutifs de l'écriture : les lumières sculptant l'espace, le son mêlant bruits, chansons et partitions empruntant à tous les genres et tous les styles, dans une musicalité qui se doit d'être en accord avec celle des gestes, des regards et des paroles portés par les acteurs.
Joël Pommerat a également adapté certaines de ses pièces de théâtre pour l’opéra. Ainsi, dès le début des années 2010, il crée, à partir de ses textes dramatiques, des livrets et des mises en scène d’opéra pour des compositeurs tels qu’Oscar Bianchi (Thanks to myEyes, d’après sa pièce Grâce à mes yeux, en 2011) ou Philippe Boesmans (Pinocchio, 2017), présentées au festival d’Aix-en-Provence et qui rencontrent un vif succès.
« Le théâtre, explique Joël Pommerat, ce sont des minutes qui s'égrènent. Il faut habiter cette temporalité. » D'où son souci permanent de la respiration juste, du mot exact, de « cette seconde où quelque chose se voit ou ne se voit pas », de « cet instant précis où la lumière passe au noir », révélant tout à coup l'angoisse du monde et des êtres, les gouffres qui se cachent dans les têtes.
Car, l'écriture de Pommerat ne se résume pas au « comment ca va ? », « qu'est-ce que tu fais ? » qu'échangent des personnages. Elle explore leur intériorité, à la recherche des ressorts qui les mènent à des actes en apparence extrêmes ou incompréhensibles. Ainsi le père qui eut un trouble passé sous l'Occupation, dans Une seule main ; ainsi la mère qui parle aux morts et tue son fils, dans Les Marchands ; ainsi les deux femmes enceintes trouvant la sérénité auprès d'un tueur d'enfants, dans Je tremble (1). Ainsi, encore, le mystérieux organisateur d'attentats, l'homme d'affaires véreux gagnant son procès ou, dans le sillage d'Andersen, l'amoureux qui abandonne sa « petite sirène » lorsque, au prix de sa voix, elle a troqué sa longue queue de poisson contre deux jambes...
On dit de Joël Pommerat qu'il porte un regard noir sur le monde. Il corrige : « Ce n'est pas mon regard qui est noir, c'est le monde. Je n'ai rien d'un désespéré. J'essaie simplement d'écrire sur ce dont on a du mal à parler, sur ce que l'on a du mal à regarder : la mort, le mal... » Et il ajoute : « Seul le théâtre permet de vivre cet invivable. C'est son origine. C'est aussi sa poésie. »
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Écrit par
- Didier MÉREUZE
: journaliste, responsable de la rubrique théâtrale à
La Croix - Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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