HUIZINGA JOHAN (1872-1945)
Le plus grand historien néerlandais du xxe siècle était le fils d'un célèbre professeur de physiologie à l'université de Groningue. Johan Huizinga naquit dans cette ville où il commença par étudier, de 1891 à 1895, les lettres néerlandaises et la civilisation orientale. Il se spécialise en linguistique à l'université de Leipzig (1895-1896) et, de retour à Groningue, rédige un travail universitaire sous la direction du sanskriste Speiger, Le Vidûsaka dans le théâtre indien. Il enseigne l'histoire à Haarlem de 1897 à 1903, date où il est nommé privatdozent à Amsterdam, chargé d'enseigner la civilisation antique et la littérature du Moyen-Orient. Mais, comme il le racontera dans son autobiographie, un événement d'ordre esthétique et culturel va le faire dévier de sa voie de philologue et d'orientaliste. L'exposition des primitifs flamands à Bruges en 1902 a suscité en lui un attrait irrésistible vers la civilisation bourguignonne : se forme alors peu à peu dans son esprit une conception de l'histoire radicalement opposée à celle qu'enseignaient alors les grands maîtres européens, attachés à la positivité des faits : une histoire des mentalités, des sentiments, de la culture, où l'esthétique et l'imagination avaient largement leur place. Sa leçon inaugurale à l'université de Groningue où il vient d'être nommé en 1905 contient en germe tout le programme de son œuvre future : il y étudie en effet « l'élément esthétique des représentations historiques ». Chargé de l'histoire du Moyen Âge et de l'histoire moderne, il rassemble les matériaux de ses œuvres maîtresses. L'université de Leyde l'appelle en 1915 à la chaire d'histoire générale. Il y enseignera jusqu'en 1941, en deviendra recteur, faisant preuve, dans les circonstances difficiles de l'occupation allemande, d'un courage tranquille, qui lui attirera des représailles de la part de l'ennemi : c'est en exil, affaibli et presque aveugle, qu'il terminera sa vie près d'Arnhem en 1945, quelques semaines avant la victoire des Alliés.
Si les honneurs n'ont pas manqué à Huizinga (docteur honoris causa de l'université de Tübingen en 1927, de celle d'Oxford en 1937, président de la section des lettres de l'Académie royale des sciences des Pays-Bas de 1929 à 1942), il les a dus exclusivement à la renommée internationale que ses œuvres lui acquirent dans le monde des historiens et des philosophes. Son livre le plus connu, qu'il a porté en lui pendant de nombreuses années, est cet Automne du Moyen Âge (Herfstij der Middeleeuwen, 1919), bientôt traduit dans la plupart des langues, mais seulement en 1932 en français et sous le titre moins poétique de Déclin du Moyen Âge. En analysant avec une sensibilité frémissante mais aussi une vaste érudition le passage des formes ou des modes de vie et des sentiments du Moyen Âge à la Renaissance, l'historien fixait une époque encore mal connue de l'histoire européenne et pénétrait en profondeur dans les diverses couches de la société bourguignonne. Il rejoignait, par sa méthode intuitive et par sa conception anthropologique qui intégrait à l'histoire la totalité des manifestations humaines, les préoccupations de la jeune école française des Annales, à laquelle un Marc Bloch et un Lucien Febvre devaient donner une impulsion dont on mesure encore aujourd'hui la puissance révolutionnaire.
Sensible à la crise des valeurs culturelles de la civilisation européenne à la charnière du Moyen Âge et de la Renaissance, l'historien néerlandais, doublé d'un philosophe et d'un moraliste, applique à tous ses écrits — biographies, études d'art, réflexions socio-politiques, essais d'anthropologie culturelle — la même méthode d'analyse différentielle,[...]
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Écrit par
- Jean-Claude MARGOLIN : professeur de philosophie à l'université de Tours, directeur du département de philosophie et histoire de l'humanisme au Centre d'études supérieures de la Renaissance, Tours
Classification
Autres références
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AMSTERDAM
- Écrit par Encyclopædia Universalis et Élodie VITALE
- 2 814 mots
- 3 médias
Dans son livre La Culture néerlandaise au dix-septième siècle, Huizinga remarque qu'à la fin du Moyen Âge le Zuiderzee a joué un rôle aussi important dans le développement du commerce maritime que la mer du Nord, et il en vient même à se demander si, à cette époque, les eaux intérieures n'ont pas... -
JEU - Le jeu dans la société
- Écrit par Jean CAZENEUVE
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Huizinga a soutenu la théorie inverse selon laquelle ce serait l'activité ludique qui aurait été créatrice d'œuvres culturelles. On pourrait ainsi faire dériver de la tendance à la compétition non seulement le sport, mais aussi la concurrence commerciale, les examens et concours ; des jeux de hasard... -
JEU - Jeu et rationalité
- Écrit par Jacques EHRMANN
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Pour Huizinga, « sous l'angle de la forme, on peut [...] définir le jeu comme une action libre, sentie comme fictive et située en dehors de la vie courante, capable néanmoins d'absorber totalement le joueur ; une action dénuée de tout intérêt matériel et de toute utilité ; qui s'accomplit en un...