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VAN DER KEUKEN JOHAN (1938-2000)

Johan Van der Keuken est né le 4 avril 1938 à Amsterdam. Après la publication de son premier album de photos en 1955, il obtient une bourse pour l'I.D.H.E.C., où il étudie de 1956 à 1958. Il s'oriente ensuite vers une production singulière qui lui vaut d'occuper une place originale dans le cinéma contemporain, aux côtés de Robert Kramer, Chris Marker, Raymond Depardon ou Richard Dindo, autres solitaires inclassables, grands voyageurs capables de passer de la caméra à l'appareil photo ou à la plume de l'écrivain. Son compatriote Joris Ivens, qui a parcouru le monde à partir des années 1930, avait été surnommé le « Hollandais volant ». Par contraste, on a surnommé son successeur le « Hollandais planant » : différence de génération et différence de style. Van der Keuken donne en effet l'impression de passer, de survoler, ce qui n'empêche ni la sympathie, ni l'acuité du regard, ni l'invite à la réflexion.

Son œuvre comporte une soixantaine de titres, allant du très court métrage (Jouets, 4 minutes) au très long métrage (Amsterdam Global Village, 1996, 245 minutes). Pour les caractériser, on ne dispose guère que de l'étiquette de « documentaire ». Or Van der Keuken n'a jamais cessé de dire avec quelles précautions il fallait prendre ce mot si on cherchait à l'appliquer à son œuvre. Quelques citations peuvent définir sa démarche de cinéaste, seule manière de distinguer le « documentaire » de la « fiction » : « On pourrait dire que les „documentaires“ (mot qu'on doit toujours malheureusement mettre entre guillemets) commencent avec une expérience immédiate de la réalité pour déboucher sur le caractère irréel de celle-ci. » Ou bien : « ... Le documentaire, que l'on pourrait définir, de prime abord, comme une reproduction de la réalité visible, implique en fait un travail sur les apparences, leur manipulation au niveau du cadrage et du montage ; leur ordonnance selon des configurations répétitives, des rythmes. » Et pour finir : « ... Je suis anti-ethnologique. La peste du cinéma documentaire, c'est de vouloir expliquer le monde sans cet énorme trou du doute, du non-savoir. »

Donc un regard, une manière de recueillir des images et des sons, de mettre ensuite à l'œuvre, par le montage, un processus de pensée, et de ne garder dans un film que ce qui ne peut s'exprimer que par l'image.

L'œuvre foisonnante de Johan Van der Keuken ne se prête pas à la recherche de repères. Formellement, on peut opposer la liberté du tournage à la rigueur du montage ; classer les sujets est une autre affaire. Il s'intéresse à la poésie et à la peinture (avec des retours fréquents sur l'œuvre de Manuel Lucebert : 1962, 1967, 1994), à la musique, toujours liée, cinéma oblige, à des références visuelles fortes (La Tempête d'images, 1982 ; Cuivres débridés, 1993), à la photographie bien sûr, sa première activité, et qu'il pratique en osmose avec sa démarche de cinéaste. En s'attardant sur les titres les plus marquants, on peut noter cependant une double constante, l'une expérimentale, qui travaille sur les images et les sons comme matière autonome (Le Visage et le voir, 1991) ; l'autre documentaire, avec les restrictions que l'auteur entend apporter au terme. D'un côté, une expérience de la réalité hors des normes (l'aveugle, l'artiste) ; de l'autre, l'expérience personnelle de l'auteur, témoin qui prend ses distances.

Voyageur, Van der Keuken l'est à la manière de « l'exote » cher à Segalen, celui qui est attentif à l'interaction avec l'étranger – ni touriste ni colon – et avec le milieu traversé. Non seulement ses films écrivent la géographie de son errance, mais nombre d'entre eux sont eux-mêmes un parcours à travers le monde. Cet homme du Nord est attiré[...]

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Écrit par

  • : écrivain et critique de cinéma, ancien chargé de cours à l'université de Paris-VII-Denis-Diderot, docteur de troisième cycle, université de Paris-VII-Denis-Diderot

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