LAVATER JOHANN-CASPAR (1741-1801)
Pasteur à Zurich, Lavater ne quitte guère sa ville ni son ministère, sinon pour entreprendre quelques voyages auxquels le pousse un goût inextinguible de révélations ineffables. Il est une bien curieuse et bien attachante figure. Jeune homme, il s'intéresse aux problèmes politiques de son pays presque autant qu'aux questions religieuses ; il polémique, entretient des correspondances étendues, noue des relations dans tous les milieux avec des gens de toutes conditions. Dès 1763, il figure parmi les animateurs de plusieurs « sociétés » suisses (Société helvétique, Société morale, etc.) avec des hommes tels que Kirchberger et Isaac Iselin ; il s'intéresse à la pédagogie, notamment aux ouvrages de Basedow ; il tente de convertir au christianisme le philosophe juif Moses Mendelssohn. Dès l'enfance, une piété joyeuse, très vive, l'envahit tout entier. En même temps, son illuminisme le détourne très tôt de toute rigidité dogmatique : il vante la puissance magique du prêtre, compose des poèmes sur la Vierge, ne manque guère l'occasion de s'affirmer l'ami de l'Église romaine ou d'en souligner les mérites. Ses ennemis en profitent pour l'accuser de cryptocatholicisme ; mais ne partage-t-il pas, en ce domaine, le sort de quantité de théosophes protestants ? Lavater refuse d'appartenir à aucune secte. Avant tout, il se fait apôtre de l'Église intérieure, allant jusqu'à se réjouir de ce que des chrétiens puissent penser autrement que lui ; mais ni les esprits forts ni les tenants de la « religion naturelle » ne trouvent grâce à ses yeux. La piété de Lavater, peu empreinte de docétisme, se caractérise surtout par un attachement inconditionnel, passionné, à la personne du Christ, non pas à un Christ d'abstraction mais au Jésus historique, à son corps charnel et mystique.
C'est un analogiste, souvent attiré par la théosophie, toujours curieux de manifestations supranaturelles. Lavater n'admet guère l'éternité des peines infernales. Il envisage le millénaire comme une réalité théologique. Dans ses Aussichten in die Ewigkeit (1768-1778), il disserte à l'infini sur l'état de l'homme dans la vie future. Lavater croit en l'exaucement des prières, en leur vertu magique. Surtout, il a soif de miracles, s'efforce de trouver à cette nostalgie une justification chrétienne, la foi réelle devant nous rendre les pouvoirs surnaturels que possédaient les premiers chrétiens. Lavater, qui se méfie de Swedenborg, semble beaucoup plus proche de Saint-Martin. Déçu par Cagliostro, il compte pourtant beaucoup d'amis parmi les disciples du Grand Cophte. On le voit pratiquer le magnétisme, consacrer un examen attentif aux génies familiers du comte de Thun, aller jusqu'à Copenhague pour constater la réalité des visions théurgiques dont sont favorisés les disciples de Charles de Hessen-Kassel, manifester le désir de retrouver saint Jean l'Évangéliste afin de le garder auprès de lui. Ses travaux de physiognomonie (Physiognomische Fragmente, 1775-1778), qui l'ont rendu si célèbre, ne représentent qu'un des moindres aspects de son œuvre ; lui-même ne leur accorde pas une importance exagérée. Mais ils ont trouvé de nombreux continuateurs.
On a pu dire que, depuis Luther, aucun penseur de langue allemande n'avait entretenu une correspondance aussi remarquable. La Bibliothèque centrale de Zurich conserve cette monumentale correspondance, qui témoigne des très nombreuses amitiés de Lavater avec les rois et les princes, mais aussi avec quantité de gens très simples. Certains écrivains, comme Goethe, pourtant très liés avec Lavater, finissent par le quitter, agacés par son désir de prosélytisme. Son influence, quoique énorme, s'exerce peu sur les grands penseurs. D'ailleurs, Lavater n'aura jamais de « système » bien défini ; si sa[...]
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Écrit par
- Antoine FAIVRE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section), professeur à l'université de Bordeaux-III
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