JUNG-STILLING JOHANN FRIEDRICH (1740-1817)
Fils d'un tailleur du duché de Nassau-Siegen, Jung-Stilling reçoit dans son enfance une éducation piétiste. Instituteur jusqu'en 1762, il se met ensuite à voyager, éprouvant cette année-là une illumination en même temps qu'il se sent dirigé par la Providence. Jusqu'en 1768, il ne cesse d'étudier, acquérant une immense culture ; il fait ensuite des études de médecine, particulièrement d'ophtalmologie. En 1770, il séjourne à Strasbourg, où il se lie d'amitié avec Goethe et Herder. À cette époque, la philosophie de Wolf et de Leibniz, les idées de l'Aufklärung font sur lui une impression profonde, l'amènent à douter de sa foi, qui cependant sortira renforcée d'une telle épreuve. Docteur en médecine en 1772, il s'établit à Eberfeld pour y exercer sa profession ; en 1774, il fait la connaissance de Lavater, rencontre de nouveau Goethe. À ce moment commence vraiment son activité d'écrivain.
Obtenant peu de succès comme médecin, Jung se fait nommer professeur d'économie politique à Kaiserlautern (1778), puis à Heidelberg (1784), enfin à Marburg (1787) où il passe les seize années les plus fécondes de sa vie (Blicke in die Geheimnisse der Natur-Weisheit, Berlin et Leipzig, 1787 ; Heimweh, 1794 ; Der Graue Mann, 1795-1816 ; Scenen aus dem Geisterreiche, Francfort, 1795). Les œuvres de Kant, qui proclament l'insuffisance de la raison et son incapacité à résoudre le problème de Dieu, le libèrent de ses doutes relatifs au déterminisme wolfien, tandis que les excès de la Révolution française lui prouvent la nocivité des idées de l'Aufklärung.
Ses écrits eschatologiques et théosophiques l'accaparent presque exclusivement, aux dépens de l'enseignement qu'il devrait dispenser à Marburg, si bien qu'il quitte cette ville en 1803 pour trouver en Karl Friedrich von Baden un mécène disposé à lui permettre de se consacrer à son activité de « missionnaire ». Jung-Stilling passe alors les quatorze dernières années de sa vie à Heidelberg, puis à Karlsruhe, écrivant un grand nombre d'ouvrages, multipliant des contacts avec les gens de toute condition, auxquels il prêche le retour du Seigneur, l'arithmosophie apocalyptique, les bienfaits de la prière.
Jung-Stilling a laissé une abondante correspondance ainsi qu'un grand nombre d'ouvrages. Il correspond avec Kant, Lavater, La Motte-Fouqué, Sophie La Roche, Eckartshausen, Kirchberger, Goethe, Charles de Hessen-Kassel, Mme de Krüdener, Oberlin, Sailer, F. K. von Moser, J. F. von Meyer, Friedrich Rudolf Salzmann, Mlle Stourdza, avec bien d'autres personnages encore. Mme de Krüdener séjourne chez lui en 1808. Jung-Stilling — dont un portrait se trouve à l'université de Chakov, sur une colonne, à côté de celui du Christ — rencontre Alexandre Ier en juin 1814. Son influence sur le tsar « illuminé », moins profonde que celle qu'il eut sur Mme de Krüdener, ne semble pas moins durable.
Il lit Böhme, mais on ne peut le dire « böhmiste ». Ses deux sources d'inspiration sont la nature et la Bible. Méfiant à l'égard de l'alchimie, il ne dédaigne pas, contrairement à Lavater, l'utilisation du magnétisme en médecine mais, comme certains illuminés protestants, il se montre peu favorable à l'Église romaine. Dans sa cosmologie, Jung-Stilling fait une grande place aux anges et aux démons, mais aussi aux astres, qui servent d'instrument au pouvoir divin sur la terre. Il s'intéresse au sort des défunts, aux apparitions, à toutes sortes d'expériences métapsychiques, mais les estime généralement dangereuses. Comme Saint-Martin, il repousse la métempsycose, mais doit beaucoup à Swedenborg et développe une ingénieuse théorie du purgatoire. Surtout, il prophétise : sur les révolutions, sur les Églises, sur la conversion des juifs, sur la venue à résipiscence de l'être pervers.[...]
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Écrit par
- Antoine FAIVRE : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (Ve section), professeur à l'université de Bordeaux-III
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