FICHTE JOHANN GOTTLIEB (1762-1814)
Dénoncer l'absurdité d'une intelligence qui ne serait pas libre et d'une liberté qui ne serait pas éclairée, tel semble bien être le sens de la maxime que Fichte se prescrit à lui-même et qui éclaire son projet philosophique : « Crois sans cesse à ton sentiment, quand bien même tu ne peux réfuter les sophistes. »
C'est qu'il n'est pas qu'un faiseur de systèmes. Ce pasteur manqué, ce remarquable orateur est une sorte de prophète dont la ferveur transparaît dès La Révolution française et dans ses œuvres plus populaires telles que La Destination de l'hommeet L'Initiation à la vie bienheureuse. Selon sa célèbre boutade, « Dieu n'est pas au service des princes », mais présent à toute conscience d'homme.
L'austère philosophie fichtéenne réconcilie liberté et nécessité, action et système. Elle fournit ses principaux thèmes à l'existentialisme contemporain, à la différence près qu'ici le culte est rendu à l'absurde et là à l'intelligibilité.
Le « père de la philosophie moderne »
Johann Gottlieb Fichte peut, encore plus justement que Kant, être nommé « le père de la philosophie moderne ». C'est ainsi, lui rendant un éloge bien involontaire, que le surnommait Schopenhauer. Sans doute Fichte conquit-il vite la gloire, mais bientôt ses lecteurs se trouvèrent rebutés par l'obscurité de ses écrits, en particulier des fameux Principes de la doctrine de la science (Grundlage der gesamten Wissenschaftslehre, 1794-1795). On comprend donc que la philosophie de Fichte ait été en partie méconnue et en partie défigurée par des commentateurs prestigieux : Jacobi, Hegel et surtout Schelling. L'étude de Fichte contraint à renoncer à l'idée traditionnelle de la continuité de l'idéalisme allemand : sa philosophie ne s'insère pas aisément dans un développement dialectique menant de Kant à Fichte, de Fichte à Schelling, de Schelling à Hegel.
L'œuvre de Fichte coïncide dans une certaine mesure avec sa vie. Né à Rammenau (Saxe) de parents pauvres, il put faire de solides études grâce à un philanthrope ; arrivé à l'âge adulte sans ressources, il tenta de se suicider. Un heureux hasard va le tirer d'affaire. Kant, sans lui prêter d'argent, l'avait recommandé à son éditeur, et Fichte avait achevé une Critique de toute révélation (Versuch einer Kritik aller Offenbarung), dont il espérait tirer quelque bénéfice. Le livre paraît, mal présenté, sans page de garde et sans nom d'auteur. Aussi l'attribue-t-on à Kant : c'est le même éditeur et il s'agit encore d'une critique ! Le malentendu finit par se lever ; certains lecteurs, apprenant la vérité, modifièrent leur avis, modérant surtout leurs louanges. Mais Fichte se trouvait être l'auteur d'un livre qui avait connu son heure de succès, au demeurant plein de promesses. Si, par la suite, il jugea lui-même sévèrement cet ouvrage, il était clair que seul un esprit imprégné de la philosophie transcendantale de Kant pouvait l'avoir conçu. Désormais Fichte allait s'efforcer d'achever la philosophie transcendantale et de lui conférer une perfection systématique, dont elle manquait à ses yeux. En 1794, il fut nommé professeur à l'université d'Iéna et c'est l'époque où il connut sa plus haute gloire.
Il avait écrit, en 1793, des Contributions destinées à rectifier le jugement du public sur la Révolution française (Beiträge zur Berichtigung der Urteile des Publikums über die französische Revolution). Le livre fut publié anonymement, mais, cette fois, personne ne pouvait se tromper. Le succès fut éclatant, éclatant aussi l'engagement politique de Fichte, qui devait lourdement peser sur son existence. Dès l'origine, la pensée fichtéenne révèle sa double dimension : elle[...]
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Écrit par
- Alexis PHILONENKO : professeur à l'université de Genève
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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