PESTALOZZI JOHANN HEINRICH (1746-1827)
« Enfant de femme et de mère autant qu'il est possible de l'être », du fait du décès prématuré de son père, Johann Heinrich Pestalozzi (né à Zurich) reconnaît qu'il n'est guère préparé à la vie réelle. Dans une lettre à Anna Schulthess, qu'il épouse en 1769, il se décrit impressionnable, d'une grande sensibilité, allant très souvent à l'extrême. De plus, ce tempérament est armé de religion, marqué à la fois par un protestantisme tendant au piétisme, où se discerne l'influence du grand-père paternel, pasteur à Höngg, et par un rousseauisme vertueux que l'expérience pédagogique de J. B. Basedow au Philanthropinum de Dessau relie aux méthodes d'enseignement de Comenius. Davantage de quoi faire retour à la nature et y sacrifier à l'amour que de quoi devenir un bon gestionnaire : « Je n'ai voulu durant toute ma vie [...] que le bien du peuple que j'aime et dont je sens comme peu d'autres les misères... » De fait, sa tentative de mener conjointement une exploitation agricole et une institution pour enfants pauvres à Neuhof, dans une propriété qu'il acquiert près de Birr (canton d'Argovie), échoue de misère au bout de quelques années, en 1780. C'est alors qu'il consigne ses pensées (Soirées d'un solitaire — Abendstunde eines Einsiedlers, 1781). Le succès de l'ouvrage l'encourage et, la même année, il entreprend Léonard et Gertrude (Lienhardt und Gertrud), dont il achève la quatrième et dernière partie en 1787. Plus qu'avec Christophe et Else (Christoph und Else, 1782) ou qu'avec son journal (Schweizeblatt), qui ne paraîtra qu'en 1828, il tenait là la notoriété. Histoire simple que celle de cette femme (Gertrude) qui se trouve confrontée avec son mari, ouvrier maçon (Léonard), aux dures réalités d'une existence villageoise toute d'exploitation et de malheur du fait d'un mauvais bailli, et qui parvient en s'adressant au vrai maître du lieu (le baron Arner) à obtenir le rétablissement de la justice. Mais le cœur de l'homme n'est pas si bon qu'il ne faille le secours d'une éducation : dans le second volet du récit, l'instituteur (Glüphi) et Mareile, du côté des filandières, s'y emploient. Finalement, le souverain lui-même — figure du grand-duc Léopold de Toscane avec lequel Pestalozzi était en relation — envisage d'étendre la réforme à tout son État. La nature — de même que la morale — reprend ses droits, car elle « ne manque pas de se venger de toute action de l'homme dirigée contre elle ». C'est l'abécédaire de l'humanité dont, sous la forme de fables, Pestalozzi donne les figures : Figures pour mon abécédaire ou des principes fondamentaux de ma pensée (Figuren zu meinem ABC Buch oder zu den Anfangsgründen meines Denkens, 1797). Fichte devait se référer à cette inspiration lorsque, en 1808, dans le Discours à la nation allemande (IXe discours), il voit en Pestalozzi l'inventeur d'une pédagogie apte à régénérer l'Allemagne, tout en marquant une différence : « En ce qui concerne notre conception, plus générale, de l'éducation nationale, nous sommes fermement convaincu qu'elle ne peut, surtout dans les classes laborieuses, être commencée, poursuivie ou menée à terme dans le milieu familial, sans que l'enfant en soit totalement séparé. » Différence fondamentale, car Pestalozzi se voue plus à l'éducation populaire où la famille conserve tout son rôle, et particulièrement la mère (« Je veux mettre l'éducation du peuple entre les mains des mères » écrit-il dans Le Livre des mères — Buch der Mütter, 1803), qu'à une éducation nationale constituée de « pensionnats ». Aspect que certains théoriciens du « soldat politique » au xxe siècle (Alfred[...]
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Écrit par
- Gilbert GIANNONI : chef de service, Encyclopædia Universalis
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