WINCKELMANN JOHANN JOACHIM (1717-1768)
L'apogée
L'œuvre maîtresse de Johann Joachim Winckelmann, Geschichte der Kunst des Altertums (1764, Histoire de l'art de l'Antiquité), puis les Anmerkungen (1767, Remarques) y afférentes sont issues des célèbres descriptions des statues du Belvédère du Vatican, surtout de l'Apollon et du Torse : poèmes en prose dans lesquels il cherche, dans un « style noble » créé par lui à cet effet, à percer le secret de la beauté plastique. L'élément descriptif est toutefois intégré dans la trame historique. Winckelmann distingue « les origines, l'éclosion, la mutation » – visant par là surtout le ive siècle – « et la décadence » de l'art grec. Il emprunte probablement ce schéma en courbe aux Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence de Montesquieu. Contrairement à ses prédécesseurs, il n'écrit plus l'histoire des artistes, mais celle de l'art, c'est-à-dire du style. Les erreurs commises dans l'attribution de certaines œuvres (par exemple, du groupe du Laocoon) à des périodes stylistiques différentes s'expliquent en partie par son goût néo-classique, en partie par le fait que de nombreux monuments, surtout ceux des époques archaïques et classiques, lui étaient encore inconnus (comme le Parthénon). Une familiarité prodigieuse avec les auteurs classiques étaye sa classification, fondée sur l'évolution stylistique et son intelligence esthétique ; elle est mise au service d'une fin ultime : la connaissance du beau dont les caractéristiques pour Winckelmann sont données a priori. Le but de l'Histoire de l'art est également l'éducation esthétique d'une élite.
La réussite de l'ouvrage réside dans le revirement que Winckelmann y opéra. Il aboutit à ses résultats non point à l'aide des méthodes érudites du temps mais par un acte de renouvellement méthodique. À l'instar de Pétrarque qui avait provoqué l'avènement de l'humanisme italien non pas dans le sillage d'écoles ou d'universités, mais en allant à contre-courant de l'organisation scolastique de son époque, Winckelmann fonde le néo-humanisme et le néo-classicisme en prenant le contre-pied du système d'enseignement établi par le baroque tardif (Spätbarock) et le siècle des Lumières. Et, de même que l'humanisme italien était issu de l'apport original de Pétrarque, à savoir sa sensibilité aiguë à l'harmonie de la langue latine, de même le néo-classicisme fut inauguré à son tour par une expérience de la perception esthétique. Ce qui distingue Winckelmann de ses prédécesseurs et de ses contemporains n'est pas tant son intelligence acérée que son don de vision d'une lucidité supérieure et qui faisait défaut aux « doctes pédants ». À leur érudition livresque il oppose inlassablement la contemplation vivante exercée au contact des antiquités romaines, l'observation intense, le regard vigilant. C'est dans ce contexte qu'il convient de comprendre le strict impératif qui ordonne de distinguer l'œuvre authentique des faux et des adjonctions ultérieures, ce à quoi Montfaucon et Caylus n'avaient pu encore parvenir. Il n'usurpe donc pas la réputation d'avoir fait « œuvre originale », bien avant que le culte préromantique de l'« original » et du « génie original » soit devenu vaine rhétorique.
Les contradictions internes de l'Histoire de l'art veulent que Winckelmann idéalise et canonise l'art grec, bien qu'il décèle clairement le caractère unique et non récurrent des conditions géographiques, climatiques, historiques et sociales qui présidèrent à sa formation. Aux yeux de ce républicain au service d'absolutistes, la naissance et l'épanouissement de l'art postulent la liberté politique qu'il a glorifiée dans un passage[...]
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Écrit par
- Horst RÜDIGER : docteur en philosophie, professeur ordinaire de littérature comparée à l'université de Bonn
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