TAULER JOHANN (1300 env.-1361)
Comme Suso et dans le même milieu que lui, les couvents et les paroisses citadines de Rhénanie, Tauler fut avant tout prédicateur et directeur de conscience. Avec Suso, il fut l'un des plus célèbres disciples et continuateurs de Maître Eckhart. Néanmoins, estimé de Luther, Tauler échappera aux méfiances de Bossuet à l'égard des mystiques de l'école dionysienne. Après avoir été condamné en 1329, l'eckhartisme était devenu suspect. Quelque peu atténuée, en même temps plus imagée, plus dramatique aussi, dans un style familier et pittoresque, le prédicateur strasbourgeois devait en transmettre la leçon fondamentale.
Le prédicateur et ses sermons
Fils de bonne bourgeoisie strasbourgeoise, Johann Tauler entre vers l'âge de quinze ans dans l'ordre dominicain ; sa santé fragile lui interdit de trop rigoureuses mortifications. Sans être directement attestée, sa présence au « studium » de Cologne pendant que Maître Eckhart y enseigne reste très hautement probable ; Tauler est en tout cas nourri de l'œuvre du maître, dont beaucoup de textes seront confondus avec les siens. C'est aux bords de l'Ill que va se dérouler presque tout entière son existence, exclusivement consacrée à la direction de conscience et à la prédication. À l'époque de l'interdit jeté par le pape sur une ville fidèle à Louis de Bavière, les prêcheurs s'exileront pendant quelque temps à Bâle, où la présence de Tauler est confirmée en 1339 et en 1346 ; il se peut aussi qu'il ait visité Ruysbroeck à Groenendael, mais il semble avoir beaucoup moins voyagé que Suso. Sur le mur d'un temple luthérien élevé à l'emplacement de l'ancien cloître dominicain de Strasbourg, une pierre tombale évoque sa mort.
Pas plus que Suso, Tauler ne fut docteur ; et ses sermons (on en a conservé quatre-vingt-trois, qui constituent sa seule œuvre authentique) sont tous écrits dans cette langue « vulgaire » que déjà Eckhart avait adaptée – plus de deux siècles avant Luther – à l'expression des idées les plus abstraites. Lié à des prêtres séculiers comme l'Italien Venturini et l'Allemand Heinrich von Nördlingen (ainsi qu'à sa fille spirituelle Margarete Ebner), il est aussi en relations intimes avec de pieux laïcs, comme le banquier strasbourgeois Rudolf Merswin. Il faut pourtant considérer comme légendaire son identification au « grand maître » dont parle le Meisterbuch (Livre du maître), opuscule très vraisemblablement composé dans l'entourage de Merswin, et qui reflète, moins radical pourtant que chez les bégards, un préjugé nettement anti-ecclésiastique. Le Livre du maître présente un grand prédicateur à qui une sorte d'ermite, ni clerc ni religieux, l'« ami de Dieu du Haut-Pays », révèle la vanité de son enseignement, provoquant ainsi en lui une vraie « conversion » (insuffisante pourtant puisqu'il devra encore subir, à sa mort, six journées de tourments au purgatoire). Le profane (l'idiota, au sens étymologique) fait la leçon au docteur officiel. Mais Tauler correspond d'autant moins à cette image conventionnelle du professeur qu'il s'élève lui-même contre « les grands maîtres de Paris » qui font confiance aux livres « écrits de main d'homme » et ignorent le « Livre de vie », où se révèle « l'admirable Opération divine » (sermon 78).
Moins qu'à la création du monde, Tauler songe ici à ce qu'il appelle « le jeu éternel du Verbe dans le cœur du Père », la procession de l'Esprit et sa remontée, plus encore la manière dont la Sainte Trinité se répand dans tous les esprits saints, et eux-mêmes dans la « merveilleuse Béatitude ». De ces mystères, que même l'intellect angélique saisit imparfaitement, on ne peut savoir que ce que révèle l'expérience « éprouvée » dans le « fond[...]
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Écrit par
- Maurice de GANDILLAC : professeur émérite à l'université de Paris-I
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