KEPLER JOHANNES (1571-1630)
Les sillons de l'espace où l'on navigue sans effort sont elliptiques. Qui ne le sait aujourd'hui ? Mais combien celui qui les découvrit est méconnu !
Il ne faut pas accuser trop vite l'ingratitude de l'histoire. Kepler écrivit la pièce maîtresse de son œuvre comme aucun créateur ne le fit jamais : il confia au livre imprimé les méandres de ses démarches. Il fut presque illisible. Le fruit qu'il donna à la science moderne naissante, à l'aube du xviie siècle, à savoir les admirables lois du mouvement des planètes, se détachait trop aisément, par sa communicabilité, de l'arbre touffu qui le produisait ; on garda le fruit et l'on méconnut celui à qui on le devait. Ce que Kepler légua d'autre part à la communauté savante, à la fin d'une vie de labeur acharné, n'intéressait que les techniciens de l'observation astronomique, un tout petit groupe, et il fallut longtemps pour que s'imposassent les tables numériques (Tables rudolphines) auxquelles il avait consacré tant de soin.
Sans doute, l'homme qui eut ce rôle décisif et qui marqua de son empreinte d'autres domaines de la physique fut-il reconnu par les plus grands promoteurs de la science rationnelle nouvelle, et c'est à lui que Descartes rapporte en particulier l'inspiration de sa Dioptrique. Mais il fut si bien de son temps que la mystique et la magie semblent s'être partagé son âme, pour la satisfaction de ceux qui le veulent somnambule comme pour la déception des esprits positifs.
On l'a dit, et c'est vrai : sans Kepler, le progrès de l'astronomie eût été retardé d'un siècle ; sans Kepler, il n'y aurait pas eu Newton. Ce n'est là, cependant, qu'une part de la vérité, la plus facile pour une histoire écrite à grands traits, celle, aussi, qui instruit moins. Kepler est venu dans un monde où, malgré des assauts vigoureux, la philosophie d'Aristote, appuyée sur une certaine métaphysique, conservait son autorité et où l'autonomie de la physique n'existait pas. Même pour un pionnier, si génial fût-il, l'itinéraire de dépassement d'une telle situation ne pouvait être que difficile et sinueux. Si Kepler a fini par concevoir que la géométrie et le calcul permettent beaucoup mieux que d'élaborer des images ou une représentation des apparences commodes pour la pratique et atteignent la structure, réelle, d'une véritable physique céleste, si Kepler est parvenu à la conviction que la physique céleste et la physique terrestre ne font pas deux physiques, mais une seule, c'est parce qu'il n'a pas cessé de faire de la métaphysique. Mettant à profit les suggestions de Copernic, il a substitué à l'opposition traditionnelle de la Terre aux Cieux, du corruptible à l'incorruptible, une division nouvelle du monde visible fondée sur l'opposition du mobile à l'immobile, et sa foi religieuse l'a aidé par l'idée d'une architecture divine, unique, régissant à la fois la Terre et les planètes, unies dans la mobilité.
Naissance d'une vocation d'astronome
Johannes Kepler est né à Weil der Stadt, dans le Wurtemberg, et c'est à l'université de Tübingen, où il fit ses études, qu'il prit le goût de l'astronomie sous l'influence d'un maître remarquable, Michael Maestlin. Il entendait cependant consacrer sa vie à la théologie et devenir pasteur. Le double poste de professeur à l'école protestante de Graz et de mathématicien des États de Styrie se trouvant vacant en 1594, il ne put le refuser et, dans cette nomination qui l'écarta en fait de la carrière ecclésiastique à laquelle il aspirait d'abord, il reconnut plus tard une intervention de la Providence.
À Graz, aucune des deux fonctions qu'il avait à remplir ne l'intéressait beaucoup, encore que sa[...]
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Écrit par
- Pierre COSTABEL : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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