KEPLER JOHANNES (1571-1630)
Première ébauche de l'architecture du monde planétaire
Le Mysterium cosmographicum mérite donc qu'on lui accorde attention. Si Kepler n'est pas le premier à être favorable à la solution copernicienne, il est certainement le premier à situer de manière précise et positive l'« économie » réelle de cette solution. Sans doute souligne-t-il, lui aussi, le gain réalisé dans le nombre de mouvements circulaires nécessaires pour la représentation des mouvements planétaires, mais, après avoir évalué ce gain, qui n'est pas si considérable qu'on le croit, il montre que l'avantage réside surtout dans la réponse à des questions que l'on aurait dû se poser ou que l'on s'est posées en vain.
Par exemple, Ptolémée ne s'est pas demandé pourquoi Mercure et Vénus accompagnent toujours le Soleil tantôt en avant tantôt en arrière, mais sans écart considérable, alors que leur retour dans les mêmes positions pour l'observateur terrestre a lieu à des intervalles de temps moindres qu'une année et qu'il est donc manifeste qu'elles font leurs révolutions plus vite que le Soleil.
Par exemple encore, les Anciens ont été frappés de la discordance entre les planètes « supérieures » et les planètes « inférieures ». Les dernières, Mercure et Vénus, n'entrent jamais en opposition avec le Soleil, tandis que les premières le peuvent, en même temps que leur distance à la Terre passe par un minimum. Mais les Anciens n'ont pas pu expliquer ce fait, qui devient avec Copernic une simple affaire de géométrie élémentaire, comme le précédent, dans la réordination du monde planétaire à partir du Soleil central.
Nous ne suivrons pas plus loin les analyses de Kepler. Il importait seulement de situer l'intérêt qu'elles présentent. La complexité des solutions de Copernic pour la représentation du mouvement des différentes planètes était certainement aussi grande que celle des solutions de Ptolémée, du fait de l'exclusivité accordée par la pensée copernicienne au mouvement circulaire uniforme comme composante fondamentale. Kepler le savait mieux que tous. D'où son effort, remarquable, pour maîtriser la technique du calcul astronomique et pour mettre en évidence les « questions très importantes » (c'est ainsi qu'il les appelle), directement issues de la critique des observations, dont le système de Copernic est le seul à rendre raison.
Cet effort conserve, aujourd'hui encore, sa valeur démonstrative. Il n'est pas vrai qu'en matière de système astronomique les hypothèses soient équivalentes. Comment a-t-on pu en discuter si longuement au temps de Galilée, sinon faute d'avoir entendu et assimilé le message de Kepler !
La faute, cependant, était aisée à commettre. Car, si Kepler, appuyé sur une démonstration positive de la vérité des vues coperniciennes, pouvait déclarer qu'il convenait de trouver la raison du nombre des planètes, des « dimensions » de leurs orbites et de leurs mouvements, ses démarches dans le sens d'une aussi magnifique découverte ne pouvaient que difficilement entraîner l'adhésion. Sans doute se refusait-il à se satisfaire comme Rheticus, l'ami de Copernic, de la perfection du nombre six, qui caractérise le nouveau monde planétaire dans lequel la Lune, satellite de la Terre, n'est plus à compter. Mais il mettait en avant l'image de la Sainte-Trinité qu'il croyait voir dans le monde immobile (le Soleil, l'espace, les étoiles fixes) pour justifier sa recherche des lois du monde mobile comme reflets des perfections divines, comme nécessités inscrites dans la Création même. Et cette métaphysique suspecte attirait davantage le regard que les éléments positifs sur lesquels elle prenait appui. Enfin, la manière dont Kepler partait à la recherche des lois n'était pas moins déconcertante[...]
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Écrit par
- Pierre COSTABEL : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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