KEPLER JOHANNES (1571-1630)
L'« Astronomia nova » et la victoire sur Mars
Dix années séparent la tentative précédente du grand ouvrage qui ouvre bien, conformément à son titre, l'ère d'une astronomie nouvelle. Encore faudra-t-il trois ans de plus pour qu'il soit imprimé, en 1609. C'est que son épître dédicatoire à l'empereur Rodolphe II y est la seule page agréable à lire, pétillante et spirituelle, et que, malgré ce trésor de finesse, les subsides nécessaires pour vaincre les inquiétudes de l'éditeur se firent attendre. Dossier d'une recherche difficile, qui livre à l'état brut les étapes et les changements de direction de l'auteur, l'ouvrage est un document exceptionnel, éminemment instructif, mais le contraire d'un succès de librairie.
Ce qu'il proclame, cependant, a de quoi piquer la curiosité. L'astre errant qui a le plus éprouvé la sagacité des astronomes, Mars, l'« inobservable », vient de capituler dans la guerre que Kepler a engagée contre lui. Par l'intermédiaire de sa mère la Nature, il a envoyé l'aveu de sa défaite, et l'Arithmétique et la Géométrie l'escortent sans résistance dans le camp de son vainqueur.
Ce langage est pompeux, mais traduit exactement l'événement considérable dont l'Astronomia nova constitue le récit détaillé.
L'opposition de Brahe a eu en effet une heureuse influence, celle de déterminer Kepler à s'attacher davantage à un examen précis et à combiner du mieux possible les arguments a priori et les arguments a posteriori. Et dix années n'ont pas été de trop pour aboutir à la solution complète d'un cas parmi les six que présentent les planètes : la trajectoire de Mars est une ellipse ayant pour foyer le Soleil, et les aires balayées dans des temps égaux par le rayon Soleil-Mars sont égales.
En quelques lignes, il est impossible de rendre compte des cheminements dont le résultat est ainsi un couple de lois reconnues comme « naturelles » et qui ont exigé de l'inventeur toutes les ressources de son habileté mathématique avec des outils imparfaits. Il faut dire pourtant que la loi des aires, traditionnellement appelée deuxième loi de Kepler, est en réalité la première dans l'ordre chronologique, et que c'est à propos de la Terre qu'elle a été conçue.
Obligé de quitter Graz en raison d'un édit contre les protestants, Kepler avait cherché refuge auprès de Brahe, à Prague, en février 1600, et le décès de son hôte, survenu peu après, lui avait légué à la fois la fonction de mathématicien de l'empereur Rodolphe et une documentation hors pair. C'est en reprenant les travaux de Brahe sur Mars, et en constatant un écart de 8′ entre les positions observées et les positions calculées avec le système des combinaisons de mouvements circulaires que Kepler fut amené à entreprendre d'abord une révision de l'orbite terrestre. L'écart de 8′, largement supérieur à la précision des observations de Brahe, ne pouvait être, en effet, aux yeux de Kepler, qu'imputé à l'inexactitude du système de représentation servant au calcul. Mais, à vouloir montrer que le point de vue copernicien devait s'accorder davantage avec l'observation, il fallait évidemment commencer par s'assurer avec précision du mouvement de la Terre. Kepler l'estime en définitive circulaire, le Soleil étant placé très près du centre, mais l'excentricité du Soleil, auquel il attribue la raison du mouvement, l'oblige à chercher comment le mouvement s'écarte de l'uniformité simple. S'il finit par trouver la solution dans la loi des aires, c'est grâce à deux erreurs de raisonnement mathématique, du moins deux erreurs qui sont apparentes pour nous parce que nous disposons de l'analyse infinitésimale, deux erreurs qui se compensent d'autant mieux que l'écart dont on doit rendre compte est faible.[...]
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Écrit par
- Pierre COSTABEL : directeur d'études à l'École pratique des hautes études
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