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OCKEGHEM JOHANNES (1410 env.-1497)

La musique profane n'est pas la musique sacrée

Quand une oreille contemporaine peu avertie entend de la musique polyphonique de la Renaissance, il lui semble difficile de distinguer entre musique profane et musique religieuse. Et pourtant ! Ockeghem, l'un des premiers, compose dans un esprit différent l'une et l'autre musiques. De ses pages religieuses nous connaissons treize messes de trois à cinq voix, un requiem de deux à quatre voix – le premier de l'histoire de la musique qui nous ait été conservé après la perte de celui de Dufay –, un credo et une dizaine de motets. En outre, une vingtaine de chansons regroupent l'essentiel de l'œuvre profane. On le voit, Ockeghem ne fut pas prolifique. Peut-être s'est-il senti quelque peu à l'étroit dans le cadre de la chanson profane ; il la traite de manière plutôt conservatrice, à trois voix, évitant habituellement les imitations, et maintenant, comme la plupart de ses prédécesseurs ou contemporains, la partie de contraténor dans une fonction subalterne (sauf dans le canon figuraliste Prenez sur moi vostre exemple amoureux). La majorité des textes reprend les formules poétiques consacrées de l'amour courtois : un amant vante la beauté de la dame de ses pensées (Autre Venus estes), proteste de sa loyauté (D'un autre amer), clame sa douleur (Je n'ay dueil), ne peut supporter son absence (Quand de vous seul), regrette son indifférence (Fors seulement l'actente), au risque d'en mourir (Presque trainsi) ; il se plaint du refus (Ma bouche rit) ; pourtant, il est parfois comblé (Tant fuz gentement resjouy) ou encore propose ses conseils (Prenez sur moi vostre exemple amoureux). Rondeau, bergerette et ballade sont les formes les plus courantes de la chanson au xve siècle. La plus populaire – le rondeau – est dix-huit fois utilisée par Ockeghem. Le refrain comporte généralement quatre lignes (rondeau quatrain) ; il est l'objet de l'attention particulière du compositeur. La bergerette, version plus courte du virelai du xive siècle, a vu son succès reprendre surtout dans la seconde moitié du xve siècle ; Ockeghem en a écrit quatre ; dans la première strophe du couplet de cette forme deux courtes demi-strophes sont dotées de rimes et de musiques différentes (c'est ce qui la distingue du rondeau). La chanson en motet n'a pas de forme particulière ; elle peut prendre celle de la ballade (Rejois toy terre de France ou Mort tu as navre). On remarquera cependant qu'Ockeghem fait évoluer le contraténor au-dessus et au-dessous du ténor, notamment dans plusieurs rondeaux. Dans ces chansons profanes, chacune des voix possède sa fonction propre : la voix supérieure (cantus) fait chanter la mélodie principale et s'harmonise avec la voix inférieure (ténor) de manière à constituer un tout indépendant, qui pourrait être séparé – de soi – de la troisième voix (contraténor) ; celle-ci enrichit cependant les deux premières harmoniquement et mélodiquement. Au xve siècle, les chansons d'Ockeghem ont joui d'une grande vogue, à en croire le grand nombre de manuscrits où nous pouvons les lire. La plupart d'entre elles en effet se signalent à l'attention par leur caractère mélancolique (La Despourvue et la Bannie, Quand de vous seul je perds la vue, et surtout la complainte pour célébrer la mort de son ami Binchois, « patron de bonté »). La simplicité traditionnelle de la forme, l'expression vraie – émotion poignante ou accents joyeux, quand la justesse du ton y invite – leur assurèrent ce long succès. Il importe de détruire une légende, celle d'un Ockeghem uniquement virtuose et expert en difficultés contrapuntiques. Certes, il fut l'un des très grands maîtres du contrepoint, aucune prouesse d'écriture ne l'effrayait : témoin, le fameux canon Deo gratias[...]

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Écrit par

  • : psychanalyste, membre de la Société de psychanalyse freudienne, musicologue, président de l'Association française de défense de l'orgue ancien

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  • CONTREPOINT

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    • 4 643 mots
    Dufay et surtout Ockeghem en arrivent à échafauder des canons d'une rigueur inhumaine où le nombre de voix ne cesse d'augmenter, allant même jusqu'à trente-six voix dans un motet célèbre. Combinaisons savantes, jeux de mandarin valables pour le papier plus que pour l'oreille, car c'est une vérité d'expérience...