REUCHLIN JOHANNES (1455-1522)
Humaniste allemand originaire de Pforzheim (Bade), qui lui a consacré plusieurs Festgabe (hommages d'anniversaire), ainsi qu'une collection d'essais (Pforzheimer Reuchlinschriften). Reuchlin reste le héros de la « querelle des hommes obscurs » (Dunkelmaenner). Et Max Brod, l'ami de Kafka, a encore raconté cette histoire dans le dernier ouvrage de sa vie, J. Reuchlin und sein Kampf (1965, J. Reuchlin et son combat). L'Augenspiegel (Le Miroir des yeux) que Reuchlin avait opposé au Handspiegel (Le Miroir à main) du converti Johanne Pfefferkorn — acharné contre la littérature hébraïque, Talmud et kabbale, et soutenu par Hoogstraaten et les dominicains de Cologne — n'est cependant pas l'œuvre qui eut le plus d'influence au long des siècles. Ce rang revient à son De arte cabalistica (L'Art de la kabbale), publié en 1517.
Cet ouvrage, dédié à Léon X, eut notamment la faveur du cardinal Gilles de Viterbe (1465-1532), qui était général de l'ordre auquel appartenait Luther, hébergea chez lui pendant dix ans le premier grammairien juif du temps, Elias Levita (1469-1549), et laissa en manuscrit une Scechina, où la dixième sefira dévoile à l'empereur Charles Quint et au pape Clément VII les mystères de la kabbale. Reuchlin, qui fut trois fois en Italie, où il grécisa son nom en Capnion (comme son neveu, qui passa à la Réforme, grécisa le sien en Melanchthon), s'éprit de la kabbale que venait de révéler en domaine latin Pic de La Mirandole (1463-1494). Il écrivit dès 1496 le De Verbo mirifico, dialogue entre le philosophe épicurien Sidonius, le juif Baruchias et le chrétien Capnion sur le seul mot qui puisse accomplir des miracles, le Verbe même. C'était, selon Reuchlin, le nom de Jésus orthographié en YHWSH — le pentagramme rendant prononçable, par l'adjonction de la lettre Shin (le S), le Nom de Dieu de quatre lettres, le Tétragramme imprononçable. Les connaissances de Reuchlin en matière de kabbale, qui ne lui avaient pas permis de donner une liste correcte des dix sefirot, dépassaient encore largement celles de ses lecteurs, qui demandèrent des éclaircissements. Reuchlin leur proposa, en 1506, ses Rudimenta hebraicae linguae (Rudiments de l'hébreu), comportant une grammaire imitée de celle de R. David Kimhi et un vocabulaire. Un exposé de la kabbale ne s'entend pas, en effet, sans la connaissance de l'hébreu. Le De arte cabalistica, qui est un dialogue entre Philolaus, musulman marrane et philosophe pythagoricien, et le kabbaliste Simon — tout en se présentant comme une restitution de la philosophie symbolique de Pythagore, qui aurait puisé chez les kabbalistes —, ne fait que reprendre le sujet du Verbe mirifique. Mais cet ouvrage reste le premier exposé systématique d'un courant de pensée que Pic de La Mirandole n'avait pu présenter qu'en énigmes, à la suite des poursuites dont il fut l'objet. G. Scholem, l'historien qui a renouvelé l'étude de la kabbale, a trouvé que ce livre utilisait, outre les œuvres classiques de Joseph ibn Gikatilia, Ginnat Egoz (Le Jardin des noix) et le Sha‘arey Orah (Les Portes de lumière), les textes les plus rares, restés manuscrits, de l'école de Gérone. Cet ouvrage, tôt pillé par H. C. Agrippa (et dont une traduction française due à F. Secret a paru, en 1973, dans la collection Pardes, dirigée par Georges Vajda), resta, en effet, bien au-delà de la publication, en 1677, de la Kabbala denudata (La Kabbale mise à nu), la mine où puisèrent partisans et adversaires de la kabbale juive et chrétienne, notamment Blaise de Vigenère, Robert Fludd, Athanasius Kircher, Eliphas Levi, Papus et Stanislas de Guaita.
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Écrit par
- François SECRET : directeur d'études à l'École pratique des hautes études (sciences religieuses)
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