BARTH JOHN (1930-2024)
John Barth est sans doute le romancier américain contemporain, avec William Gass, Robert Coover et Vladimir Nabokov, qui a eu l'influence théorique la plus grande sur l'art de son temps. Son essai sur « La Littérature de l'épuisement » (The Literature of Exhaustion, 1967) a constitué une référence commune pour les romanciers dits « postmodernes » qui ont cherché à rénover les formules d'un art usé par plus de deux siècles d'exploration thématique et formelle.
John Barth est né le 27 mai 1930 à Cambridge, dans le Maryland ; cet État sert de cadre à plusieurs de ses œuvres – dont Letters, qui a pour sujet « officiel » la guerre de 1812. C'est là également que se trouve l'université où Barth a passé le plus clair de son existence : Johns Hopkins, comme étudiant d'abord, puis comme professeur (1973-1995), après un passage à l'université de Pennsylvanie et à Buffalo.
Son premier roman – sans doute le plus communément lisible – est The Floating Opera, 1956 (L'Opéra flottant, 1968), dont le héros Todd Andrews tente de reconstituer le jour de sa vie où il a été tenté par un suicide auquel il a finalement renoncé, dans une prémonition ou une métaphore ironique du devenir du roman selon l'auteur. The End of the Road, 1958 (La Fin de la route, 1958), de facture apparemment classique, se veut, comme le roman précédent, une étude du nihilisme ; l'auteur y démontre cependant son talent à régénérer par l'emploi d'une langue simple et décapée une structure romanesque passablement éculée. C'est véritablement avec The Sot-Weed Factor,1960 (Le Courtier en tabac, 2002) que la manière de Barth commence de se faire jour. À mi-chemin du roman « expérimental » et de l'allégorie, cet énorme volume ouvre la série des épopées lucidement bouffonnes dans lesquelles, sous couvert d'exploration réaliste, Barth subvertit les mythes et l'histoire par la satire et la parodie. Une langue truculente et jubilatoire détruit les aridités canoniques du récit traditionnel et la tentation de la réflexion théorique intégrée au récit lui-même – métafiction ? – se fait plus pressante. Giles Goat-Boy, 1966 (L'Enfant-Bouc, 1970) transforme allégoriquement le monde universitaire en univers et fait de l'ironie et du comique des entreprises de démolition dignes des interrogations matoises de Rabelais, Sterne ou Cervantes : mythes, créations littéraires passées, pseudo-sciences et monde moderne, rien ne sort intact de cette grande machination qui se remet elle-même en cause en refusant toute clôture ; le roman « s'achève » sur une explosion potentiellement infinie de post-scriptum.
La figure de Schéhérazade a longtemps semblé à Barth symbolique de la situation de l'écrivain : raconter des histoires et fasciner pour ne pas mourir, structurer indéfiniment des récits obsédants, en une érotique tant implicite qu'explicite. S'attachant à décrire la situation du roman contemporain, un critique américain a repris l'image favorite de Barth : « Schéhérazade, à court d'intrigue, continue de parler ; le roi étonné, l'écoute. » C'est ce qui se passe d'une certaine façon dans Chimera, 1973 (Chimère), où Barth conte une histoire du point de vue de Dinarzade, sœur de la célèbre conteuse. La mise en abyme des récits, l'utilisation autoréflexive des mythes grecs par les personnages qui les parlent ; l'introduction caustique des thèmes modernes dans la méditation des acteurs anciens, l'humour urticant et la jouissance produite par la parole font de Chimera l'une des œuvres les plus « barthiennes » qui soient. On les trouvait déjà dans Lost in the Funhouse, 1968 (Perdu dans le labyrinthe, 1972), recueil de nouvelles dont l'inspiration et la facture ne sont pas sans évoquer l'art[...]
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Écrit par
- Marc CHÉNETIER : agrégé de l'Université, docteur ès lettres, professeur de littérature américaine à l'université d'Orléans
- Encyclopædia Universalis : services rédactionnels de l'Encyclopædia Universalis
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