BUNYAN JOHN (1628-1688)
L'enseignement du « Pilgrim's Progress »
Le mode allégorique qui est le propre du Voyage du pèlerin fait de l'ouvrage l'expression privilégiée de la foi d'un peuple qui demande alors au récit de faire apparaître, comme à travers un miroir grossissant, la vérité familière enfermée dans le texte biblique et sur laquelle il se fonde. Semblable mode d'expression est essentiellement biblique, dans la mesure où l'écrivain use d'images accessibles aux plus humbles, familiers cependant du texte original, afin de dévoiler un enseignement tout en cachant celui-ci sous le signe concret. L'allégorie, chez Bunyan, se rapproche de la parabole, illustration de la Parole divine, et appelle la libération du sens par l'expérience individuelle de la foi. C'est à un lecteur individualisé qu'elle s'adresse, à qui il s'agit de faire entendre ce que le discours direct ne saurait mieux dire. La sobriété, l'apparente naïveté du récit allégorique, où l'on aura reconnu un procédé fréquent dans la littérature médiévale, ont, au surplus, pour effet de libérer le lecteur croyant du xviie siècle anglais (sans parler des innombrables lecteurs des générations suivantes, dans tous les pays à majorité protestante) du littéralisme où s'est vite sclérosée l'inspiration biblique. Bunyan prêche le salut par la foi, non par la lettre, et c'est bien malgré lui que le respect de la Bible a pu engendrer chez certains un culte de la lettre, la bibliolâtrie, qui sera le fait de quelques sectes protestantes au siècle de Victoria. Samuel Butler en fera la satire dans Ainsi va toute chair (1903).
La communauté religieuse qui s'était rassemblée autour de Bunyan ne se situe pas du côté des sectaires, des « spirituels », mais a reçu de lui un enseignement luthérien. Fondé sur la doctrine et l'expérience du réformateur, il affirme que l'homme n'a pas de liberté à bien faire, sinon celle que Dieu lui donne. Au moins faudrait-il ne pas réduire cette sévère leçon à une sorte de justification pharisienne des « bons » face aux « méchants ». Bunyan eut assez d'humilité sinon d'humour pour ne pas encourager le culte de la mélancolie religieuse qu'avait provoqué le sentiment de la perdition, propagé par de moroses calvinistes. Il est fort éloigné du fanatisme qui poussa les gens de Salem à pourchasser les sorcières et à condamner Hester Prynne (cf. La Lettre écarlatede Hawthorne, 1850). Il est loin, aussi, du déisme qui commence à poindre et transformera l'éthique puritaine en morale, en simple savoir-vivre quand l'évolution du siècle se souciera de former des « gentilshommes », non des « saints ». Comme Pascal, il prêche la grâce qui « abonde » d'autant plus que « le péché a abondé », selon l'enseignement paulinien (Épître aux Romains). C'est dire que le langage religieux qu'il parle, avec son temps, est essentiellement tourné vers l'individu : il ne cesse de marquer la distance qui le sépare de la sainteté, sans jamais oser avouer, surtout dans La grâce abonde, l'ouvrage tragique, qu'une libération puisse jamais être définitive pour l'homme qui doit vivre du sentiment de la menace constante d'un écart, d'un égarement, si futile, si puéril soit-il. Au contraire, dans Le Voyage du pèlerin, sans que jamais le sentiment de la culpabilité originelle soit atténué, se dessine l'image de l'homme nouveau, comme un appel, suscitant une constante tension à travers les menaces très réalistes du cheminement du croyant dans la vie, la lutte contre le géant Appolyon, le bourbier du désespoir, la foire aux vanités. Le refrain qui domine l'expérience de Bunyan, exemplaire pour son peuple et sa communauté dispersée et persécutée, se résume en quatre mots : [...]
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Écrit par
- Jacques BLONDEL : professeur émérite à l'université de Clermont-II
Classification
Média