CASSAVETES JOHN (1929-1989)
Au plus près de l'humain
On a pu interpréter, dans l'esprit des années 1970, le couple et la famille selon Cassavetes comme le récit d'une profonde déroute, même si une lueur d'espoir se profile généralement à l'horizon. À sa manière, le cinéaste met à mal le mythe de Tristan et Iseult, et son désir d'absolu qui veut que chacun finisse par rencontrer l'être unique. D'un autre côté, le clan et la famille abritent quelque chose de rassurant, mais impliquent aussi des conflits permanents. D'où le passage constant de la générosité à l'agressivité morale et surtout physique.
Au cœur de ces groupes, l'enfant : dans Un enfant attend, Jean Hansen, interprétée par Judy Garland, prend ainsi en charge un enfant attardé, abandonné par ses parents. Après l'échec cuisant d'un de ses films les plus personnels, Opening Night, Cassavetes se trouve contraint de réaliser, pour se renflouer, un scénario à la limite du mélodrame lacrymal.
Si l'on admet que le cinéma de Cassavetes s'appuie d'abord sur l'émotion, ses personnages ne sont pas simplement hypersensibles, comme dans les mélodrames classiques de John Stahl ou de Douglas Sirk. Ils en font toujours trop dans l'amour comme dans le rejet, et se montrent sans cesse au bord de l'hystérie, voire de la folie. Leur vie ressemble à une fuite en avant en forme de suicide : si le bonheur n'est pas réalisable dans ce monde, la tentation est celle de la disparition, au risque de transformer l'affliction de ceux que l'on aime en un authentique supplice.
La mise en scène de Cassavetes cristallise cette démarche. Violence, où l'alcool joue souvent un grand rôle, rapidité des mouvements, chocs des corps que la caméra ne cesse de poursuivre dans leurs derniers retranchements, sans pudeur, et sans se détourner de la seule réalité digne d'être vécue : comme Maurice Pialat, Cassavetes appuie là où ça fait mal. Mais la douleur est aussi la preuve que l'on est réellement vivant. Cette destruction de soi-même et des autres n'est pas un choix, mais le résutat d'un flux qui traverse le monde « cassavetien » et que la caméra se doit de saisir. Contrairement à ce que l'on a pu croire à l'époque de Shadows, Cassavetes ne filme pas en amateur. Loin des cadrages léchés de La Ballade des sans-espoir et d'Un enfant attend, ceux de Cassavetes ne doivent rien au « glamour hollywoodien ». Le réalisateur saisit un mouvement en train de s'accomplir, comme une musique de jazz. Les images deviennent des tableaux sans jamais imiter quelque peinture que ce soit. Exégète aigu de l'œuvre, Thierry Jousse emprunte au sociologue et critique d'art Hubert Damisch cette remarque concernant le peintre Jackson Pollock : « ... ces étranges toiles de 1951-1953 où, au détour de l'entrelacs, surgissent soudain des visages, des corps humains. » Pour définir la révolution accomplie par John Cassavetes dans l'histoire du cinéma mondial empruntons encore à Thierry Jousse ces notations qui caractérisent son cinéma : « Effet de brouillage, altération de la visibilité, turbulence maximale. »
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Écrit par
- Joël MAGNY
: critique et historien de cinéma, chargé de cours à l'université de Paris-VIII, directeur de collection aux
Cahiers du cinéma
Classification
Média
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