COLTRANE JOHN (1926-1967)
Après Louis Armstrong, Duke Ellington et Charlie Parker, John Coltrane est considéré par beaucoup comme l'une des figures historiques sans lesquelles le jazz eût suivi d'autres pistes, entretenu d'autres espoirs, poursuivi d'autres chimères. Les hasards et les lenteurs d'une carrière longtemps obscure, entreprise dès 1945 dans de petits orchestres de danse, ont favorisé chez lui une attitude introspective et une recherche esthétique que seul un très petit nombre de ses confrères a poussées aussi loin. Cette réflexion (en tous sens du terme) l'a conduit des formes les plus élémentaires de l'expression musicale jusqu'à ses bouleversements les plus radicaux. C'est ainsi qu'il contribua vers la fin des années cinquante, avec Sonny Rollins, à l'évolution du style bop hérité de Parker avant de le faire éclater, se révélant tour à tour comme l'initiateur, le « disciple » (le mot est de lui) et le compagnon de route des avant-gardistes du free jazz (Ornette Coleman, Albert Ayler...). Créateur « hanté », aspirant frénétiquement à un absolu qu'il savait inaccessible, il vacilla entre l'appel du sublime et la tentation du néant, pris d'un formidable vertige, en même temps qu'il apportait à la musique afro-américaine, par un singulier paradoxe, quelques-unes des certitudes qui, depuis lors, tiennent lieu de terre ferme à ses voyages.
La fuite en avant
William John Coltrane, dit « Trane », naît le 23 septembre 1926, à Hamlet, en Caroline du Nord. Spécialiste des saxophones ténor et soprano, c'est à l'alto qu'il commence de se produire, peu avant sa mobilisation à Hawaii. De retour à la vie civile, il travaille dans des formations de rhythm and blues comme celle de Joe Webb, irremplaçables écoles de véhémence où l'on cultive la ferveur rythmique et l'expressionnisme sonore. En 1948, il appartient à l'orchestre du célèbre Apollo de Harlem. Il va désormais se consacrer au jazz proprement dit, jouant avec Howard McGhee et Philly Joe Jones à Philadelphie, puis aux côtés de Dizzy Gillespie, en grandes et en petites formations. Earl Bostic, Johnny Hodges, Jimmy Smith et Bud Powell utiliseront ses services. Il faut noter que les plus classiques de ces musiciens, Hodges notamment, exerceront sur lui une influence souterraine mais déterminante.
En 1955, encore ignoré du public, il est engagé par Miles Davis dans un quintette qui allait enregistrer quelques-uns des disques phares de l'époque (Cookin', Relaxin', Steamin', etc.). Il y affine sa technique, mais, surtout, il s'y trouve confronté à ses démons : en refusant de lui donner des directives, le trompettiste l'oblige à se forger une personnalité. Volubilité rageuse, sonorité rugueuse en seront les traits dominants. Deux ans plus tard, Coltrane est sollicité par Thelonious Monk, qui se produit alors au Five Spot Café. Là, apprenant du pianiste comment occuper l'espace musical d'une manière non conventionnelle, il rompt définitivement avec les clichés hard bop et prend l'habitude de jouer de très longs chorus, Monk abandonnant parfois son tabouret pendant vingt minutes, une heure ou même davantage !
L'année suivante, revenu près de Miles Davis, il découvre que cette prodigalité imposée par les circonstances répond en fait chez lui à une nécessité intérieure : la prolifération sera désormais à la source d'une expression dont l'unité n'est plus la note isolée, mais la constellation de notes. C'est par « nappes sonores » (Michel-Claude Jalard) qu'il procède, en une course éperdue vers un terme qui recule à mesure devant lui. Coltrane improvisant semble vivre la passion de ne pas pouvoir finir. Ces « fuites en avant » sont accompagnées de hurlements hallucinés, de fulgurantes ascensions vers l'aigu, de brusques plongées dans le grave. On dirait que l'artiste[...]
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Écrit par
- Alain GERBER : docteur en psychologie, membre du Collège de pataphysique et de l'Académie du jazz, romancier
Classification
Média
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