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CONSTABLE JOHN (1776-1837)

Observation et émotion

Si l'on cherche à mieux cerner la personnalité artistique de Constable, on doit se reporter à ses lettres à Fisher et à ses conférences sur la peinture. Il pose en principe premier, pour le paysagiste, la familiarité avec la vie rurale et avec les phénomènes naturels tels que vents et nuages. Il critique les « maniéristes » qui se contentent d'imiter le style de tel ou tel maître. Il se montre plein de sarcasmes pour les tenants du pittoresque, car ils jugent la nature à l'aune de la peinture, au lieu de faire l'inverse. Pour lui, le paysagiste doit avoir une connaissance à la fois intellectuelle et intime de son sujet : « On ne voit vraiment quelque chose que si on le comprend. » Depuis son enfance, Constable avait justement acquis cette familiarité ; passionné par les nuages, il lut plus tard des ouvrages scientifiques sur leur formation. Pourtant, l'authenticité qu'il recherchait n'était pas d'ordre optique. Ce qui lui importait le plus, c'était d'exprimer une vision personnelle de la campagne qui reflète ses propres émotions : « Ce que je préfère peindre, ce sont les endroits que je connais ; peindre, c'est pour moi la même chose que sentir, et j'associe mon “enfance insouciante” avec tout ce qu'on voit sur les bords de la Stour ; ces lieux ont fait de moi un peintre, et je leur en suis reconnaissant. » Ce besoin profond d'expression personnelle a récemment stimulé les recherches de critiques d'art. John Barrell, avec une approche de type sociologique, a ainsi pu mettre en valeur la contradiction entre l'image paisible de la vie rurale donnée par les toiles de Constable et la dure réalité de la condition des paysans après 1820, qui a suscité des émeutes, dans le Suffolk comme ailleurs dans le sud du pays. Il fait justement remarquer que les silhouettes des personnages se livrant aux travaux des champs restent floues et impersonnelles, comme si le conservatisme social du peintre exigeait une mise à distance du vécu des travailleurs en tant que personnes.

Un autre type de critique s'est attaché à dégager la signification psychologique de thèmes récurrents et de structures formelles dans l'œuvre de Constable. Ainsi Ronald Paulson s'est interrogé sur l'évacuation de l'histoire et de la littérature qu'il a choisi d'opérer, alors que le public de son temps appréciait beaucoup la peinture narrative. Il suggère que la seule histoire qui intéressait vraiment Constable, c'était la sienne. Il souligne que dans ses conférences le peintre associe les origines du paysage avec l'histoire du Christ, et singulièrement la Crucifixion ; on y lit en effet : « Il fallait un terrain pour y fixer la croix – il fallait un ciel –, il fallait les ombres de la nuit pour envelopper le jardin – et une obscurité encore plus épaisse pour la crucifixion [...]. C'est dans ces peintures, encore grossières et imparfaites, qu'il faut chercher l'origine du paysage. Il a d'abord été utilisé pour contribuer à exprimer le sentiment... » Les paysages de Constable, selon Paulson, seraient le véhicule d'une angoisse de la perte ou de l'absence. Si la nature de cette perte reste obscure (l'enfance, la mère, Maria, ou les trois à la fois ?), certaines structures visuelles récurrentes semblent bien confirmer qu'elle est le « sentiment » principal qu'exprime l'œuvre dans son ensemble. Beaucoup de toiles montrent, en premier plan, des obstacles ou barrages tels qu'écluses, talus, barrières ou fourrés opaques ; en revanche, le plan intermédiaire est souvent illuminé délibérément, pour révéler un champ de blé, un plan d'eau, ou encore la flèche d'une église, comme si un refuge désiré était ainsi désigné.

Voir en Constable simplement l'imagier de la[...]

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Écrit par

  • : professeur à l'université de Clermont-Ferrand-II-Blaise-Pascal

Classification

Médias

<it>La Cathédrale de Salisbury vue du jardin épiscopal</it>, J. Constable - crédits :  Bridgeman Images

La Cathédrale de Salisbury vue du jardin épiscopal, J. Constable

Le Champ de blé, J. Constable - crédits : Erich Lessing/ AKG-images

Le Champ de blé, J. Constable

<it>Le Château de Hadleigh</it>, J. Constable - crédits :  Bridgeman Images

Le Château de Hadleigh, J. Constable

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