DONNE JOHN (1572-1631)
Chef de file des poètes « métaphysiques », John Donne a régné par l'esprit, ou wit, sur la poésie anglaise de l'âge baroque. Il n'a jamais sombré dans l'oubli : Pope l'apprécie, Coleridge l'admire, Browning l'imite. Mais sa fortune n'atteint un nouvel apogée qu'au xxe siècle. Yeats en sa vieillesse, T. S. Eliot en ses premières œuvres et, à sa suite, tous les jeunes poètes de l'entre-deux-guerres se réclament de son exemple. On proclame et on accentue sa modernité. Cependant, on saisit mieux encore l'originalité de Donne si on le situe dans son époque.
La « conversion » de Donne
Il naît à Londres de parents catholiques. Son père, John, riche ferronnier, est d'ascendance galloise. Sa mère, Anne, est la fille de l'épigrammatiste John Heywood et la sœur d'un jésuite, Jasper, qui traduisit en anglais trois tragédies de Sénèque. Sir Thomas More est un de ses ancêtres, et son jeune frère mourra en prison pour avoir donné asile à un prêtre. L'idée du martyre l'obsédera. Pourtant, avant la fin du siècle, il s'est rallié à l'Église anglicane. Par conviction ou par opportunisme ? Les deux peut-être. Il a lu les théologiens, mais il a l'ambition de faire carrière dans les grands services de l'État. S'il s'inscrit à Thavies Inn en 1591, puis à Lincoln's Inn, c'est moins pour étudier le droit que pour « se pousser » dans le monde. Il mène la vie d'un gentilhomme élisabéthain, « assidu auprès des dames, habitué des théâtres », voyage sur le continent, prend part aux expéditions maritimes d'Essex en 1596 et 1597. À son retour, il entre au service de sir Thomas Egerton, garde des Sceaux. Bel esprit, poète déjà en renom, il voit s'ouvrir devant lui toutes les portes du succès. Il les ferme toutes – par mégarde ou par bravade ? – quand il épouse secrètement, en décembre 1601, une nièce de sir Thomas, Anne More. Destitué, il vivra plusieurs années à Mitcham, dans le désœuvrement, chargé d'enfants et d'embarras financiers. Un théologien anglican, Thomas Morton, fait appel à lui pour amener les catholiques anglais à prêter le serment d'allégeance au roi : il écrit Pseudo-Martyr. Mais les services mêmes qu'il rend à l'Église établie contrecarrent ses ambitions profanes : Jacques Ier le presse d'entrer dans les ordres. Il se dérobe d'abord. Mais ni la comtesse de Bedford, protectrice des poètes, charmée de la subtile extravagance de ses épîtres, ni sir Robert Drury, dont il immortalise la fille dans ses Anniversaires, ni le favori royal, le comte de Somerset, dont il célèbre le mariage, ne font avancer ses affaires. En vain se fait-il élire au Parlement. En vain brigue-t-il une ambassade. En 1615, il embrasse la seule carrière que le roi consente à lui ouvrir : il est ordonné prêtre.
La « conversion » de Donne n'en est pas moins sincère : elle a précédé son entrée dans les ordres. Les Anniversaires sont des méditations métaphysiques, et la plupart des poèmes religieux ont été composés avant 1615. Le jeune « libertin » s'inquiétait déjà de découvrir la véritable Église. Une fois prêtre, Donne se voudra saint. Il s'impose une règle de vie et dénonce, du haut de la chaire, les erreurs de sa jeunesse. La mort de sa femme, en 1617, semble accroître sa ferveur. Prédicateur à Lincoln's Inn de 1616 à 1621, puis doyen de Saint-Paul, il acquiert le renom « d'un second Augustin, un second Ambroise ». Charles Ier le choisit pour prêcher le premier sermon de son règne. On songe à le faire évêque, mais la maladie le terrasse en l'hiver 1630. Le 25 février 1631, c'est un homme mourant qui monte en chaire pour prononcer un dernier sermon sur la mort et la résurrection, Death's Duel. Et pour faire[...]
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Écrit par
- Robert ELLRODT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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