DONNE JOHN (1572-1631)
L'originalité de Donne
Novateur, il conduit la révolte virile de sa génération contre les conventions pétrarquistes, les « sonnets sucrés », le vers mélodieux. Il lance de nouveaux genres, un nouveau style. Il ne prend modèle ni sur les poètes du continent ni sur les Anciens, mais ses satires, ses épîtres d'inspiration stoïcienne l'apparentent à Horace et à Perse. La veine satirique s'infiltre dans les élégies érotiques ou burlesques, corrode la Bible, la religion, la royauté dans un long poème inachevé, The Progress of the Soul (Le Voyage de l'âme), envahit même un recueil lyrique au titre trompeur, Songs and Sonnets(Chansons et Sonnets). Donne y crée, peut-être sous l'influence du théâtre élisabéthain, le monologue dramatique. Le jaillissement de la « pensée pensante » y épouse les tournures, les inflexions de la langue parlée. La gamme des tons n'est pas moins étendue que le registre du sentiment : naturalisme libertin et logique scolastique, ironie et tendresse, cynisme et passion, antiplatonisme et intuition de l'immortalité dans l'extase amoureuse. Un trait distinctif : l'amour profond n'est jamais attente implorante, mais célébration d'un amour comblé ; l'union des amants est à la fois charnelle et spirituelle.
La double nature de l'homme est encore au centre de la poésie sacrée. L'angoisse s'y approfondit devant la menace d'un écartèlement. La crainte et le tremblement dominent dans les Holy Sonnets (Sonnets sacrés). L'espérance s'affirme dans les Hymnes, sans que l'amour divin apporte au croyant les certitudes triomphantes de l'amour humain. La « conversion » du poète ne change pas les structures de son esprit et de sa sensibilité. La mort est déjà l'horizon de sa poésie profane, et les paradoxes de la passion amoureuse se modèlent d'emblée sur le paradoxe de l'Incarnation. L'âme et le corps, l'esprit et la chair sont les pôles constants de sa spéculation : sa pensée s'élance, prompte et tendue, sur l'axe qui oppose et relie à la fois ces deux termes ; la densité, la vérité de ses concetti n'a pas d'autre source.
Du profane au sacré, l'imagination de Donne se meut dans le même univers : un monde dense, solide et tactile, empli d'objets proches, toujours sous les yeux, sous la main, comme une mappemonde, le corps caressé d'une maîtresse ou la face du Christ en croix. Un monde où l'espace se resserre, où le mouvement même abolit toute distance, où l'infini s'enclôt dans la sphère et dans le point, où le divin s'immerge dans la chair, où l'éternité palpite en l'instant vécu. Cet univers n'est pas un cosmos harmonieux, objet de contemplation ; il est pensé sous forme de monde-autour de soi : le poète en est toujours le centre. Cette conscience de son être-dans-le-monde hante et exacerbe sa passion. Son amour vise à s'emparer du monde à travers l'objet aimé, car l'aimé, dans la poésie de Donne comme en la philosophie de Sartre, est la « condition même du surgissement d'un monde », « l'objet-fond sur quoi le monde se détache ».
Le même esprit s'affirme dans l'œuvre en prose. Les juvéniles Paradoxes et problèmes attaquent spirituellement les conventions. La subtilité dialectique est mise au service de l'anglicanisme dans Pseudo-Martyr (1610). L'âpreté satirique s'exerce aux dépens des Jésuites, qui furent ses maîtres, dans Ignatius His Conclave (1611). Dans Biathanatos, audacieuse apologie du suicide, l'obsession morbide s'exprime non moins scolastiquement que dans les Essays in Divinity : ces deux traités furent publiés par son fils après sa mort. Les Devotions upon Emergent Occasions (1624), journal d'une grave maladie, trahissent l'attention passionnée[...]
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Écrit par
- Robert ELLRODT : professeur à l'université de Paris-III-Sorbonne nouvelle
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Média
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