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DOS PASSOS JOHN (1896-1970)

Structures et techniques

Dans le bouillonnement de l'après-guerre, le monde littéraire et artistique tend à rompre avec le passé. Après le cubisme, le dadaïsme et le surréalisme ouvrent de nouvelles voies. L'Ulysse de Joyce, les idées de Meyerhold au théâtre, l'apport esthétique d'Eisenstein dans le domaine du film, impliquent une recherche de nouveaux modes d'expression correspondant à une ère où les progrès de l'industrie et des techniques changent la face du monde. L'Amérique, vue par Dos Passos, procède de ce courant. Il adopte pour écrire U.S.A. un système directement inspiré par le cinéma. Chacun des trois romans se compose de quatre sections récurrentes qui se succèdent selon une architecture élaborée. Chaque livre comporte ces quatre plans-relais de quatre points de vues : « actualités » (newsreels), « biographies », « fiction romanesque » – portant en exergue le nom d'un personnage, particulièrement éclairé par le projecteur – enfin « l'œil de la caméra » (camera eye) où l'auteur s'exprime selon la technique du monologue intérieur – voire du « flot de conscience ». Quatre images d'une société qui contribuent parallèlement à la construction de l'image clef. La place attribuée à chacune, l'ordre de présentation sont autant d'éléments du montage. La diversité s'organise autour du thème central. Les « bandes d'actualités » (informations fragmentaires de tous ordres, publicité, chansons, mode, expositions, événements politiques, grèves, mariages, etc.) insistent – par rapprochement, opposition et allusions – sur l'absurdité de la société contemporaine, qui ne sait où elle va, mais y court à toute vitesse. Les « biographies », parfois traitées sur le mode ironique, parfois lourdes d'émotion, tracent le portrait « exemplaire » des grands de ce monde en pleine mutation : de Ford qui fait tirer la troupe sur les grévistes à Taylor et son « plan », dont le travail à la chaîne et les cadences infernales n'ont pas fini de secouer le monde ouvrier, en passant par Debs, Isadora Duncan, Edison, Rudolf Valentino, James William Bryan, Big Bill Haywood et le syndicat des Industrial Workers of the World, Frank Lloyd Wright, etc. En contrepoint, mais se rattachant toujours au contexte évoqué, se déroulent les destins individuels de la « section romanesque » : un univers où les existences des personnages se croisent et s'entrecroisent dans une nouvelle « comédie humaine » où chacun subit ou influence la destinée des autres.

Plus personnel est « l'œil de la caméra », parfois traduit par le terme « l'objectif », qui a le mérite d'en souligner l'ambiguïté première. Rien n'est plus subjectif en effet que ces interventions du narrateur où il exprime son monde intérieur et ses doutes en une sorte de prose poétique qui n'est pas sans évoquer l'Apollinaire de Calligrammes, le Prévert de Paroles ou la poésie de E. E. Cummings (1894-1962), et laisse parfois déborder l'émotion lyrique. Le ton, pourtant, se veut impersonnel. L'ironie sous-jacente se cache derrière une apparente objectivité. Trente ans de vie américaine se succèdent ainsi dans la rigueur de la chronologie. C'est l'histoire en train de se faire sur le fond sonore des machines devenues aliénantes par la volonté du grand capital.

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Écrit par

  • : agrégée d'anglais, maître assistante à l'université de Paris-VII

Classification

Média

John Dos Passos - crédits : Bettmann/ Getty Images

John Dos Passos

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