GRAUNT JOHN (1620-1674)
La statistique et la démographie, sciences « modernes » dont les développements récents sont prodigieux, ont eu pour fondateur John Graunt, marchand de drap et échevin de haute réputation dans la Cité de Londres. Aux alentours de 1660, peut-être encouragé par son ami William Petty, il consacre ses loisirs à l'étude, apparemment anodine, de quelques dizaines de bulletins de mortalité. Il s'agissait de récapitulations annuelles des bulletins hebdomadaires de mortalité que, depuis au moins soixante ans, établissaient régulièrement les paroisses de Londres et de la banlieue afin de surveiller les épidémies de peste. Graunt imagina alors de ranger en tableaux ces milliers d'informations chiffrées (nombre de décès par paroisse, par sexe, par cause ; nombre de baptêmes ; etc.) de manière à les considérer comme un tout et à y observer des « lois » semblables à celles des physiciens et des astronomes de l'époque. Il parvint ainsi à détecter et à mesurer des régularités arithmétiques dans divers phénomènes biologiques et sociaux qui, jusqu'alors, étaient censés relever exclusivement des décrets de la providence : la naissance, la mort et ses causes, la longueur de la vie, la peste, etc.
Les contemporains de Graunt ont dû trouver un arrière-goût de sacrilège à son petit — et unique — ouvrage : Observations naturelles et politiques sur les bulletins de mortalité (Natural and Political Observations... upon the Bills of Mortality..., 1662), dans lequel il règle définitivement leur compte à nombre d'idées reçues, de fables ou de vantardises, et ramène à leur ordre de grandeur réel bien des évaluations quantitatives extravagantes. Il démontre ainsi que Londres ne contient pas le dixième du nombre d'habitants que certains lui prêtent ; qu'il y a, sur terre, à peu près autant d'hommes que de femmes et qu'il naît un peu plus de garçons que de filles ; que les terribles épidémies de peste (qui retiennent longuement son attention) n'empêchent pas la population de croître rapidement ; que la mortalité est plus forte et la natalité plus faible à Londres qu'en province ; que la population londonienne n'augmente que grâce à une forte immigration ; que la fréquence relative de la plupart des causes de décès est remarquablement stable, etc.
Pour l'évaluation d'une population, Graunt tire parti de la régularité qu'il a constatée dans les rapports quantitatifs entre population et naissances ou population et décès. Sa « méthode du multiplicateur » aura un immense succès pendant un siècle et demi, avant d'être supplantée par les recensements. On reconnaît aujourd'hui ses estimations de la population de Londres et de celle de l'Angleterre comme les meilleures de l'époque.
En classant ses données, en calculant des fréquences, des moyennes, des accroissements, Graunt jette les bases des principes et des outils fondamentaux de l'analyse statistique et démographique. Ces instruments, qui seront affinés (très lentement) par les successeurs, possèdent déjà une efficacité et une précision honorables. Et si certaines prémisses et certaines conclusions des raisonnements de Graunt sont erronées, on ne le sait que grâce aux développements ultérieurs des sciences qu'il a fondées.
Graunt est-il l'inventeur des tables de mortalité ? La table qu'il présente est une construction en grande partie imaginaire, puisque les données requises pour cela n'existaient pas encore à l'époque. Mais il a bien conçu le principe de la table de mortalité ; il en a tracé le modèle et déplore que l'ignorance de l'âge des décédés (variable pour laquelle il renoncerait volontiers à connaître la cause des décès) l'empêche de construire cet instrument clé de l'analyse de la mortalité.
On doit à Graunt une[...]
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Écrit par
- E. VILQUIN : expert démographe, assistant au département de démographie de l'Université catholique de Louvain (Belgique)
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