NEWMAN JOHN HENRY (1801-1890)
Le philosophe
On pourrait douter que dans cet homme complet – à la fois poète, romancier, historien, essayiste, prédicateur, polémiste, théologien – il y eût encore place pour le philosophe. L'œuvre philosophique de Newman n'est d'ailleurs pas considérable et est demeurée jusqu'à ces derniers temps inédite ; cependant, elle se répartit sur toute sa vie. Ses premiers écrits sont une discussion avec les « noétiques » (aristotéliciens) d'Oxford. La Proof of Theism (1859) est le résumé de trente années de réflexion personnelle sur la preuve de l'existence de Dieu reconnue non par les « voies » classiques mais par la conscience. La Grammaire de l'assentiment (1870) répond aux objections du libéral William Froude. Les derniers écrits concernent les théories darwinistes et scientistes de la fin du siècle. Tout au long de son œuvre, Newman a fait de la philosophie presque sans le savoir ; et, si l'on doit concéder qu'il n'avait pas la « tête métaphysique », là réside précisément le caractère particulier et l'intérêt de ce penseur sans dénomination et rebelle à toute appartenance.
Aussi cette philosophie est-elle retrouvée et exposée de nos jours (par M. Nédoncelle, A. J. Boekraad, E. Sillem, J. Collins) plutôt qu'elle n'est livrée dans une œuvre continue. C'est le type même d'une philosophie personnaliste : isolement du moi (otherwordliness), réciprocité des consciences, assentiment personnel et sens de l'autorité, expérience d'un maître et juge des consciences, sens du devoir, rencontre de Dieu au cœur de la conscience (éthico-religieuse), dans la tradition religieuse de l'humanité ou par l'action humaine. Ces thèmes – où les arguments cosmologiques sont symptomatiquement absents – sont développés dans l'œuvre de Newman de façon aussi profonde qu'ils peuvent l'être et l'ont jamais été.
Comme son nom l'indique, An Essay in Aid of a Grammar in Assent (Grammaire de l'assentiment) est une réflexion sur l'assentiment (distingué de l'inférence) et non sur la certitude qui, depuis Descartes et Kant, commande la démarche réflexive de l'esprit. Sur quoi se fonde un tel assentiment, surtout lorsqu'on souligne que la démarche de l'homme concret, individuel, faillible, est fort éloignée de la démarche démonstrative du savant et si l'on exige par ailleurs qu'elle ne soit pas une illusion ? Newman expose d'abord la distinction entre une proposition notionnelle et une proposition réelle et les conditions pour qu'une proposition, elle-même notionnelle, soit réelle pour l'esprit. La condition de tout discours et de tout dialogue, c'est que soit abandonné le terrain des propositions notionnelles et que soit appréhendée la proposition réelle. La conscience sanctionne ce second registre ; et c'est ici, et ici seulement, qu'il est possible de parler d'une « preuve de Dieu ».
Il résulte de là que l'inférence, c'est-à-dire le raisonnement verbal – par opposition au mental –, et l'assentiment sont des actes différents de l'esprit. Dans l'inférence, l'attention est dispersée sur un certain nombre de propositions et sur leurs rapports réciproques, tandis que, dans l'assentiment, elle se concentre sur une seule, sans référence aux autres. Ici la conclusion est le résultat de probabilités trop nombreuses pour qu'on puisse les réunir en forme de démonstration. C'est la force cumulative et unifiante de ces raisons probables recueillies par une mémoire attentive qui entraîne l'assentiment de l'esprit en chaque cas particulier. C'est donc toujours un raisonnement mental, et non verbal, qui entraîne l'adhésion et la certitude. Pour cela, il faut que soit mise en œuvre toute une histoire mentale, tout ce qui a été appris et retenu, non sous forme de connaissances[...]
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Écrit par
- Bernard DUPUY
: directeur du Centre d'études Istina et de la revue
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