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KEATS JOHN (1795-1821)

Les grandes œuvres

Assez vite, Keats comprit que la poésie familière prônée par Leigh Hunt ne convenait pas à son génie. Dans la grisaille de l'hiver londonien et la torpeur de la vie politique et intellectuelle, hostile au romantisme de Shelley et au scandale soulevé par Byron, il rêva de légendes mythologiques et de la beauté des cultes païens. « Une chose de beauté est une joie éternelle » est le premier vers du long poème Endymion (1818). La déesse Séléné descend la nuit embrasser sur le mont Latmos son amoureux endormi : Endymion. La passion de l'éphèbe ainsi aimé de la lune est celle de l'âme humaine pour la beauté entrevue en songe. Le poème est trop long, trop décoratif et « alexandrin », trop dépourvu d'intérêt humain ; il n'eut guère, et ne pouvait avoir, de succès. Mais son ouverture, le grandiose « Hymne à Pan » dit à une fête en l'honneur de ce dieu, et, au livre IV, les strophes musicales d'Au chagrin (To Sorrow), chantées par une vierge indienne, sont admirables. Dans une courte et modeste préface, le poète disait son espoir de n'avoir pas trop terni l'éclat de la splendide mythologie des Grecs et son désir de revenir une fois encore à ce passé.

Il entreprit en 1818 un voyage à pied dans l'est et le nord de la Grande-Bretagne, voyage qui devait être fatal pour sa santé. Les revues le prenaient à parti avec férocité, selon leur tactique qui était de barrer la route aux innovations littéraires. Keats ne mourut pas, trois ans plus tard, de ces attaques, comme on le dit alors, mais il fut ulcéré de tant d'incompréhension et de mauvaise foi. « Je crois que je compterai après ma mort parmi les poètes de l'Angleterre », osait-il avouer à un correspondant en octobre 1818. Il était attiré par un besoin de tendresse féminine et de passion qui enflammât son imagination autant que ses sens. Une Mrs. Isabella Jones fut à cette époque (1818-1819) aimée de lui et peut-être lui suggéra le thème de La Veille de la Sainte-Agnès (The Eve of St. Agnes). Il conçut une passion plus violente et peut-être mal payée de retour pour une jeune fille, Fanny Brawne, qui ne comprit qu'à demi l'exaspération sensuelle de ce poète miné par la consomption, mais promit de l'épouser. Les lettres d'amour et souvent de supplication adressées par Keats à la jeune fille, coquette sans doute et déconcertée plus que cruelle, publiées après sa mort, choquèrent la pudibonderie de certains critiques victoriens. Leur pathétique est cependant déchirant. C'est sous le stimulant de cet amour qu'en 1819 le poète composa, coup sur coup, des œuvres de longue haleine et de grande ambition, et ses odes les plus célèbres.

Isabelle, ou le Pot de basilic (Isabella) écrit pendant l'hiver de 1818, est un poème narratif en strophes de huit vers, qui reprend une histoire tragique du Décaméron de Boccace. Deux frères, ayant découvert l'amour de leur sœur Isabelle pour leur valet, Lorenzo, assassinent l'amant. Le fantôme du mort apparaît à la jeune fille et lui révèle où il est enterré. Elle creuse l'endroit dit, coupe la tête du mort et l'enfouit sous une plante, un basilic qu'elle arrose de ses pleurs. L'histoire est contée avec passion et grâce, et les personnages sont tracés avec vivacité. La Veille de la Sainte-Agnès, en strophes dites « spensériennes » (neuf vers, dont le dernier, plus long, est une sorte d'alexandrin), est un pur chef-d'œuvre de concision, de puissance évocatrice, de merveilleux jamais forcé. Deux amoureux séparés comme Roméo et Juliette sont réunis en un rendez-vous délicat. Un fragment, La Veille de la Saint-Marc, exerça une séduction enchanteresse sur les poètes préraphaélites du milieu du xixe siècle, D. G. Rossetti et W. Morris. Lamia ne suscite plus cette atmosphère médiévale,[...]

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Écrit par

  • : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université Yale, Connecticut, États-Unis

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<em>John Keats</em>, J. Severn - crédits : DeAgostini/ Getty Images

John Keats, J. Severn

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