KEATS JOHN (1795-1821)
Mort et résurrection
À cette extraordinaire floraison succéda, en 1820, une année douloureuse. Keats avait vu lentement mourir de tuberculose son frère Tom en décembre 1818. Un peu plus d'un an après, il se sut atteint de la même maladie. Il avait, dans un poème de jeunesse, demandé dix ans de carrière poétique pour s'élever au rang qu'il espérait être le sien ; cela ne devait pas lui être accordé. Son amour mêlé de brûlante ardeur et d'amère insatisfaction le rongeait. Il avait symboliquement crié sa détresse de se savoir ainsi miné par un amour dont jamais il ne jouirait, dans sa splendide ballade La Belle Dame sans merci (1819) ; le titre seul provenait d'Alain Chartier, le poème est une merveille d'art évocateur et d'images étranges et prenantes, sur un chevalier captif d'une femme-vampire. De plus en plus attristé, le poète écrivit l'un des sonnets les plus tragiques, et les plus parfaits, de la poésie anglaise, « Eclatante étoile, puissé-je comme toi être fixé en repos ! » Il appelle à lui la mort, et voudrait qu'elle le surprît embrassant son amante. Il ne pouvait plus ébaucher de projet d'avenir.
Il entreprit, avec un peintre de ses amis, Joseph Severn, qui l'assista jusqu'au dernier jour, le long voyage par mer vers la Méditerranée, Rome et Naples, angoissé de laisser la jeune femme désirée. Il analysait lucidement les degrés de ce mal qui pourrissait ses organes. « Je sens les fleurs pousser sur moi », disait-il ; et dans l'amertume de son cœur, il demanda que sur sa tombe fût écrit en anglais : « Ci-gît un homme dont le nom fut écrit sur l'eau. » Son modeste logis était à Rome, près des escaliers de Trinità dei Monti, sur la place d'Espagne ; la maison est aujourd'hui le musée Keats- Shelley. Shelley en effet, dès l'été de 1820, avait écrit à Keats pour l'inviter à le rejoindre en Italie, à Pise. Keats avait refusé, par une lettre un peu sèche, conseillant à son aîné de trois ans plus de concentration et de densité dans son art. Shelley ne s'en vexa point. Dès qu'il apprit la mort de Keats à Rome, il écrivit la plus grandiose élégie jamais consacrée par un poète à un autre poète, Adonaïs, tribut au génie de Keats arrêté dans sa floraison et anticipation du sort réservé à Shelley lui-même, qui voulait être enterré dans le même cimetière protestant de Rome ; il le fut en effet dix-huit mois plus tard.
Il fallut une dizaine d'années pour qu'enfin la jeunesse des universités britanniques, à Cambridge d'abord, puis à Oxford, revendiquât pour Keats et pour Shelley une place parmi les vrais poètes. Monckton Milnes, devenu plus tard lord Houghton, se consacra à cette réhabilitation. Le jeune Tennyson, né en 1809, admira l'art de Keats dès 1832-1833. Les préraphaélites (Rossetti, Morris) se proclamèrent ses disciples. Swinburne admira son hellénisme, son paganisme poétique, son culte éperdu de la beauté, et surtout l'accent mis sur le sensuel, alors que la littérature victorienne se croyait tenue de proposer un message moral optimiste. Depuis, la gloire de Keats n'a jamais plus été mise en question. Elle brille, hors des pays de langue anglaise, surtout parmi les connaisseurs, car la traduction la déflore. Nul poète anglais n'est plus récité, plus aimé.
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Écrit par
- Henri PEYRE : ancien élève de l'École normale supérieure, professeur honoraire à l'université Yale, Connecticut, États-Unis
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Média
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