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LE CARRÉ JOHN (1931-2020)

L'histoire mue mais ne meurt pas

C'est une des raisons pour lesquelles on accordera une nette préférence aux protagonistes de A Small Town in Germany (Une petite ville en Allemagne, 1968) qui cernent autrement mieux les mille et un fils d'une toile où les gibiers peuvent devenir proies ; au jeune blanc-bec crédule et au vieux cheval de retour de The Looking Glass War (Le Miroir aux espions, 1965) à qui l'on fait prendre les vessies crevées du Service pour des lanternes presque magiques en les propulsant vers des objectifs qui les dépassent ; et surtout à l'Alec Leamas, le douloureux héros de The SpyWho Came in From the Cold (L'Espion qui venait du froid, 1963), le chef-d'œuvre de Le Carré. Grugé par ceux de son propre camp, il finira au pied du mur, victime presque consentante des balles venues d'en face. Tout autre, quoique victime elle aussi, est Charlie, The Little Drummer Girl (La Petite Fille au tambour, 1983), actrice engagée malgré elle dans le combat sans merci que se livrent services secrets israéliens et OLP. Il s'agit là d'un des plus sobres et des plus efficaces romans de l'auteur depuis L'Espion qui venait du froid...

Avec la fin de la guerre froide, il semble que la disparition du monde auquel Le Carré se référait ait plus ou moins tari sa source d'inspiration. Car il y avait sans doute autre chose à élaborer que cet éloge poussif de la perestroïka avec Russia House (La Maison Russie, 1989), autre chose à ressasser que le blanchiment d'argent par les mafias russes avec Single and Single (Single et Single, 1999). Quant au diplomate britannique de The Constant Gardener(La Constance du jardinier, 2001) aurait-il seulement levé le petit doigt contre la multinationale pharmaceutique à laquelle il s'attaque, si son épouse n'avait été assassinée ?

Ainsi, nous voilà passés sans transition d'un monde où l'auteur invitait son lecteur à mettre le nez à la fenêtre en lui donnant l'impression « de se mêler de ce qui ne le regarde pas », à un monde de la bonne conscience où l'impression que tout finit par se savoir serait à l'ordre du jour. Reste que, contrairement à ce que prédisaient certains, la chute du Mur de Berlin n'a pas ralenti et encore moins achevé le cours de l’Histoire. C’est cette réalité inédite, où le bien et le mal sont plus que jamais indiscernables, que les romans ultérieurs de John Le Carré vont s’attacher à décrypter, comme dans Le Chant de la mission (The Mission Song, 2006), Un traître à notre goût (Our Kind of Traitor, 2010), Une vérité si délicate (A Delicate Truth, 2013) ou encore L’Héritage des espions (A Legacy of Spies, 2017), retour plein d’ironie à l’univers de son premier grand roman, L’Espion qui venait du froid.

John Le Carré meurt le 12 décembre 2020 à Truro (Angleterre).

— Robert DELEUSE

—  ENCYCLOPÆDIA UNIVERSALIS

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John Le Carré - crédits : Andrew Fox/ Mirrorpix/ Getty Images

John Le Carré

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  • ESPIONNAGE FILM D'

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