MILTON JOHN (1608-1674)
L'image que le public a le plus volontiers retenue du poète puritain Milton est liée soit à la pensée révolutionnaire qui voulut saluer en lui un régicide, soit au romantisme qui reconnut en Satan le véritable héros du Paradis perdu. Mais le rayonnement que Milton a pu connaître en France, de Vigny à Hugo, ne rend pleinement justice ni à son œuvre ni à sa personne. L'optique du siècle des Lumières, l'engouement romantique relèvent d'une tradition intellectuelle éloignée du courant judéo-chrétien qui anime le xviie siècle anglais. Le poète échappe ainsi aux cadres de réflexion d'une époque qui avait renoncé, en tout ou en grande partie, à l'humanisme biblique et médiéval. Or, depuis 1945 environ, un renouveau d'intérêt pour les études miltoniennes s'est fait jour dans les pays anglo-saxons. « Les mythes de la Genèse, fait remarquer Helen Gardner, écartés comme histoire, sont revenus chargés de symbolisme pour décrire la condition humaine et la réponse venue de Dieu. » Le lecteur du xxe siècle à qui les secousses de l'histoire ont appris la vanité de bien des rêves utopiques, retrouve, sous l'archaïsme de la cosmogonie miltonienne, une image grandiose du drame humain de la volonté de puissance qui a mis en question nos civilisations. Le renouveau de l'exégèse biblique contribue aussi à mieux éclairer l'interprétation poétique des vieux textes, à les replacer dans une époque qui leur prêtait autant d'autorité, sinon davantage encore, que les légendes antiques : Moïse, croyait-on, avait devancé Homère. Milton se dégageait de l'allégorisme qui avait inspiré Dante ; l'image que lui offrait la Genèse, le livre le plus souvent commenté en son temps, l'aidait à donner un sens à l'histoire. Saint Augustin lui avait aussi légué sa vision cosmique du salut, héritage qu'il avait en commun avec le Moyen Âge, récusant seulement le magistère de l'Église romaine. Au centre de sa pensée se situe l'homme, image de Dieu, mais non son égal, victime de la prévarication d'Adam, mais promis à la rédemption.
Serviteur de la poésie
Né au cœur de la cité de Londres, John Milton fut élevé selon les traditions les plus rigoureuses de la pédagogie humaniste. Son père, tabellion de haute intégrité, y veilla de bonne heure et le confia à un précepteur puritain ; il aimait lui-même la poésie et jouait de l'orgue. Le jeune homme apprit qu'il ne devait pas gaspiller son talent, tandis qu'il étudiait les lettres classiques et s'enchantait à lire La Reine des fées, le grand poème allégorique de Spenser, son « docte et sage » devancier. En quittant l'école Saint Paul, il entra à Christ's College à Cambridge, en 1625. Un portrait le représente portant collerette et le visage paré de boucles châtain : on l'appela « la demoiselle » du collège. Il accepte la discipline scolastique, apprend à disserter en latin comme le feront en anglais les personnages de ses deux poèmes épiques. Il compose des élégies latines et écrit en 1629 son premier grand poème, l'Ode au matin de la Nativité (On the Morning of Christ's Nativity), où l'on reconnaît la complexité baroque du temps et une spiritualité marquée de néo-platonisme, avec la gravité déjà sublime du chantre biblique. Son père s'étant retiré à Horton (Buckinghamshire), il y séjourne avec lui au sortir de l'université en 1632, pour affermir sa vocation de poète. Il a renoncé à entrer dans le clergé anglican car les événements politiques ont décidé de son choix : le royaume spirituel auquel il pense ne peut selon lui admettre la hiérarchie d'une Église temporelle. En effet, Charles Ier (1625-1649) incline à imiter les pratiques romaines, sous la conduite de l'archevêque Laud. Milton, d'autre part, est trop érudit[...]
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Écrit par
- Jacques BLONDEL : professeur émérite à l'université de Clermont-II
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Média
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