MILTON JOHN (1608-1674)
Poète biblique
Les sonnets anglais (ainsi que les sonnets italiens) permettent de suivre le poète, condamné pourtant à écrire en prose pendant cette période, et d'y retrouver l'homme privé autant que le citoyen jusqu'en 1652. Le sonnet Sur le récent massacre des Vaudois du Piémont (On the Late Massacre in Piedmont, 1655) par les troupes du duc de Savoie traduit l'espoir que les soldats responsables du martyre suscitent à leur insu une armée de fidèles qui quitteront « Babylone et ses malheurs », c'est-à-dire la cité (ou l'Église) injuste et sanguinaire. Celui qu'il dédie à Henry Lawes témoigne de l'amitié qu'il éprouve envers le musicien qui avait composé Comus avec lui. Les deux sonnets sur sa cécité expriment avec la noblesse d'un Job le sens que peut avoir l'épreuve pour le poète voué à une grande tâche et qui, par excès de labeur, avait perdu la vue dès 1652. Au seuil du livre III du Paradis perdu, il évoquera la « céleste lumière » qu'il sait ne pouvoir plus revoir, non plus que « les éclosions d'avril ». Mary Powell était morte en 1652 ; Milton se remaria en 1656 avec Catherine Woodcock qui devait mourir en couches quinze mois plus tard. Entre-temps, il avait commencé son œuvre épique par un prologue, le discours de Satan au soleil, qui aurait constitué le prologue d'un drame. Les six premiers livres du Paradis perdu furent écrits avant le retour de la monarchie en 1660.
« Le Paradis perdu »
Pour saisir l'unité du poème, il faut comprendre comment Milton entendait faire « œuvre jamais encore tentée » (liv. I, 16) ; les Hexamérons depuis le ive siècle et les Semaines de Guillaume du Bartas, dont l'influence fut immense en Angleterre, plaçaient Dieu au centre de l'histoire : Milton y mettait l'homme et non seulement l'Adam mythique, mais l'humanité entière et le lecteur moderne. Cela dit, le poète chrétien n'a d'autre thème à développer que ce qui lui est déjà révélé : il dénombre les beautés de la création que le Démon voudrait anéantir pour y susciter un monde dont il serait l'artificier, un mirage romantique et pervers. La transgression, c'est refuser la réalité d'une création bonne, suivre la fantaisie et non la raison, c'est-à-dire une raison naturellement éclairée par Dieu. Satan apparaît ainsi comme la parodie du héros épique, tel Ulysse ou Achille, et l'image agrandie du scélérat du drame élisabéthain qui a fait du mal son souverain bien et qui doit se déguiser pour survivre.
L'épopée ne suit pas une progression chronologique. Le livre III expose le dessein de Dieu, qui proclame la gloire de son Fils ; celle-ci provoque la colère des anges rebelles et la guerre éclate au Ciel ; les anges de perdition sont jetés en enfer (liv. I et II) où Satan fait monter sa plainte et entendre sa décision de ne pas céder. Puis survient la création d'Adam et d'Ève (liv. V à VIII). Satan conspire alors contre le premier couple ; il rôde autour de l'Éden (liv. IV), puis entre au Jardin, déguisé ; reconnu, il s'enfuit : on dirait un masque, une répétition de la véritable tentation décrite au livre IX où, selon l'expression du poète, le lecteur passe du plan cosmique au plan domestique. L'action est engagée, combat combien rude et plus actuel, pense Milton, que celui d'Achille sous les murs de Troie : l'enjeu en est la volonté de l'homme de l'histoire, et non pas seulement celui du mythe de la Genèse, où l'être, voulant devenir Dieu, a renoncé aux chaînes de la liberté. Le principal acteur est ici Satan qui, comme dans le Livre de Job, a licence de parcourir la terre pour susciter le doute chez la créature humaine ; il s'adresse à Ève comme un courtisan à sa maîtresse et l'exalte comme une idole, la promettant à un plus digne sort que celui que Dieu lui a assigné dans un étroit Éden. Le fruit qu'il l'invite[...]
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Écrit par
- Jacques BLONDEL : professeur émérite à l'université de Clermont-II
Classification
Média
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