TOLKIEN JOHN RONALD REUEL (1892-1973)

L’écrivain et philologue britannique John Ronald Reuel (J. R. R.) Tolkien a marqué profondément le paysage culturel du xx^e siècle avec la publication de sa somme romanesque, Le Seigneur des anneaux (The Lord of the Rings), en 1954-1955.

« Savant et écrivain »

À bien des égards, J. R. R. Tolkien apparaît comme un écrivain paradoxal : auteur à la fois célèbre et méconnu, car masqué par le succès de son œuvre, cet Anglais, né le 3 janvier 1892 de parents expatriés à Bloemfontein, alors capitale de l’État libre d’Orange, aujourd’hui en Afrique du Sud, passionné par l’« anglicité » linguistique et littéraire, fut également un créateur prolifique dont on ne retient souvent que deux titres, Le Hobbit (1937) et Le Seigneur des anneaux(1954-1955). Cet érudit fut toutefois un homme de son temps, puisqu’il s’engagea comme officier pendant la Première Guerre mondiale avant de s’investir pleinement à l’Université ; catholique qui se perçut dans son enfance comme persécuté, il fit preuve à l’âge adulte d’une ouverture remarquable à l’égard des autres religions. Cet homme « enraciné » dans le passé, mais dont l’œuvre a fait l’objet de lectures très progressistes, fut surtout un écrivain auquel on a parfois attribué l’invention de la fantasy, mais dont on sous-estime les réflexions sur ce genre et sur le merveilleux.

J. R. R. Tolkien incarne, comme Umberto Eco, l’alliance entre l’érudition brillante et l’écriture fictionnelle. Professeur d’anglo-saxon à Oxford dès 1925 (il est élu à trente-trois ans au Pembroke College, après cinq ans à l’université de Leeds), il enseigne aussi le moyen anglais, le vieil islandais ou le gallois médiéval. La parution de A Middle English Vocabulary (1922) et d’une édition annotée de Sire Gauvain et le chevalier vert (1925, avec E. V. Gordon) l’a établi comme un spécialiste de l’étude des textes et des langues, comme un philologue. S’il est élu en 1945 professeur de littérature et de langue anglaises au Merton College – à Oxford, toujours, où il restera jusqu’à sa retraite, en 1959 –, sa palette linguistique est beaucoup plus vaste et va des langues anciennes – il a commencé ses études par le latin et le grec, en 1911 – à de nombreuses langues contemporaines – dont l’espagnol, le finnois, l’italien, le français, l’allemand… Une réussite éclatante pour l’ancien boursier, orphelin de père (Arthur), à trois ans, et de mère (Mabel), à douze ans, confié avec son frère Hilary (1894-1976) au père Francis Morgan de l’Oratoire de Birmingham, ville où le jeune Tolkien sera lycéen (à la King Edward’s School) après avoir vécu dans la campagne environnante.

En ce qui a trait à la fiction, on ignore souvent que Tolkien n’a pas publié de son vivant son grand œuvre, Le Silmarillion, commencé dans le contexte de la Première Guerre mondiale, en 1916-1917. S’il a réécrit cette « Histoire » des Elfes et des Silmarils sous diverses formes, en prose (Le Livre des contes perdus, puis les versions successives du Silmarillion) et en vers (les poèmes épiques des Lais du Beleriand), celles-ci n’ont été publiées qu’après sa disparition par son troisième fils et exécuteur littéraire, Christopher Tolkien (1924-2020), co-auteur d’une première édition du Silmarillion(1977), qui propose une version de ce texte inachevé.

On ne saurait surestimer l’importance du travail mené par Christopher Tolkien pendant plus de quarante ans : sans lui, l’œuvre de son père se réduirait à deux titres principaux, Le Hobbit et Le Seigneur des anneaux, alors qu’elle représente des milliers de pages. Une vingtaine de livres publiés entre 1977 et 2018 – dont les douze tomes de L’Histoire de la Terre du Milieu (1983-1996) – doivent ainsi leur existence à Christopher Tolkien, allant d’un recueil d’essais sur la littérature et les langues[...]