STEINBECK JOHN (1902-1968)
Steinbeck est avant tout l'écrivain de la générosité. Son œuvre fut une constante dénonciation de la misère des hommes au nom d'une confiance presque mystique en leur inépuisable possibilité de perfectionnement. Il est par là spécifiquement américain et trouve tout naturellement sa place dans une tradition qui remonte à Emerson ou Whitman. La diversité même de son inspiration, qui le mène du roman à la nouvelle, au reportage ou au théâtre, et qui est tour à tour passionnée et humoristique, naturaliste et fantastique, scientifique et poétique, dit bien essentiellement un amour profond de la richesse multiple de la vie qu'il faut savoir saisir sous des formes sans cesse renouvelées. Rien donc ne saurait étouffer pour Steinbeck, malgré les tragédies d'une époque difficile, le jaillissement d'un optimisme qui le pousse continuellement à rechercher le véritable dialogue humain, celui que l'on poursuit avec soi comme avec autrui dans la générosité retrouvée de la vie elle-même lorsque celle-ci est redevenue libre et naturelle. L'innocence d'un paradis perdu, lieu du dialogue originel avec la vie, voilà au fond ce dont, en bon Américain, Steinbeck ne cesse de ressentir la nostalgie.
L'homme, la terre et le voyage
John Steinbeck est né à Salinas en Californie, d'un père trésorier municipal et d'une mère institutrice, et il vécut en Californie toute son enfance et son adolescence. Ce fut là une circonstance décisive. Terre de soleil riche de vergers, la Californie est aussi terre de rencontre où les traditions venues d'Europe ou d'Orient se mêlent aux traditions des Indiens autochtones, terre neuve donc et à la fois ancienne. En outre, elle représente, pour de nombreux Américains, la dernière « frontière », le rêve américain d'une Terre promise étirée au long du Pacifique. Mais surtout, pour Steinbeck enfant et adolescent, la Californie et plus particulièrement la « Grande Vallée » de Salinas, région encore exclusivement rurale à l'époque, fut le lieu du premier contact avec la terre immémoriale. Ne disait-il pas lui-même que ce qui avait le plus marqué son enfance, c'étaient des événements apparemment aussi insignifiants que la naissance d'un poulain ou « la manière dont les moineaux au printemps sautillaient sur les chemins de terre ». Cycle des saisons donc mais aussi terre des civilisations d'avant l'homme blanc dont les vestiges subsistent dans les clairières sacrées, ou terre d'avant l'homme puisque dans les profondeurs de la vallée on retrouve les coquillages et le sable qui témoignent de l'époque où le pays était recouvert par la mer, et, plus profondément encore, les vestiges pétrifiés des immenses forêts de séquoias que l'Océan a jadis englouties. C'est dans ces profondeurs que l'homme steinbeckien plonge ses racines. Le Nouveau Monde qu'est l'Amérique retrouve ainsi une histoire plus vaste que la simple histoire des hommes, et c'est par elle qu'il va essayer de se redéfinir, sa nouveauté n'étant que le signe de ses retrouvailles avec l'immémorial.
Le déracinement que symbolise le voyage constitue l'autre volet de l'œuvre. Le monde du xxe siècle arrache l'homme à la terre et le lance à la poursuite d'un nouveau rêve. Ce thème du voyage, lui aussi profondément américain, illustre alors l'inquiétude de l'homme moderne. Mais, chez Steinbeck, il se situe autant dans le temps que dans l'espace. Il trouve alors un sens car il est aussi retour aux sources, manière de retrouver le cycle éternellement recommencé de la vie par la référence à un passé mythique sans cesse répété, que ce soit par exemple l'Exode biblique et la quête de la Californie promise des Raisins de la colère, ou la chute et la recherche du paradis de À l'est[...]
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Écrit par
- Robert ROUGÉ : professeur de littérature américaine à l'université de Rennes-II
Classification
Média
Autres références
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ÉTATS-UNIS D'AMÉRIQUE (Arts et culture) - La littérature
- Écrit par Marc CHÉNETIER , Rachel ERTEL , Yves-Charles GRANDJEAT , Jean-Pierre MARTIN , Pierre-Yves PÉTILLON , Bernard POLI , Claudine RAYNAUD et Jacques ROUBAUD
- 40 118 mots
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...politique se liguent pour exploiter le fermier, les hommes de lettres se révèlent passionnément agrariens. Frank Norris commence une épopée du blé et John Steinbeck vendange sur les vignes américaines les « raisins de la colère » (The Grapes of Wrath, 1939). Même le fermier embourgeoisé et presque... -
LES RAISINS DE LA COLÈRE, John Steinbeck - Fiche de lecture
- Écrit par Michel FABRE
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Le titre du neuvième roman de John Steinbeck (1902-1968), publié en 1939, renvoie à The Battle Hymn of the Republic, hymne antiesclavagiste composé en 1862 par la poétesse américaine Julia Ward Howe, et aussi au livre biblique, le Deutéronome. Son déroulement prend l'allure d'une tragédie nationale...