MEKAS JONAS (1922-2019)
Walden et les films-journaux
Au milieu des années 1960, Mekas se rend compte qu’il ne peut continuer à concevoir des longs-métrages comme The Brig, par manque de temps et d’argent. En 1967, il se met à regarder avec une attention soutenue les plans qu’il a tournés depuis son arrivée à New York et commence à en structurer de courts extraits, Cassis et Notes on the Circus (1966), premiers courts-métrages porteurs de sa nouvelle écriture (tous deux inclus dans le futur Walden). Il pense réaliser un montage plus étendu de ces plans et séquences. Il n’y viendra qu’en 1967, quand un responsable de festival, Gerald O’Grady, lui demandera un film. Ce seront les prémices de Walden (Diaries, Notes and Sketches, 1969), son travail le plus connu, qui évoque le temps d’une avant-garde florissante. À travers ce matériau tourné entre le printemps 1965 et l’été 1968, l’auteur se dépeint en artiste avant de faire retour sur l’émigré. Le film sera achevé deux ans plus tard. On y voit ses amis, représentants de divers mouvements avant-gardistes de l’époque. Le cinéaste se réfère, en creux, au roman de Henry David Thoreau, Walden, ou la vie dans les bois (1854), hymne à la nature et critique de la société en voie d’industrialisation. Avec cette référence, Mekas insiste sur le fait qu’il prend ses distances d’avec l’esprit promoderniste des avant-gardes historiques. Ce nouveau panthéisme sera la marque de son cinéma.
Dans Le Livre de Walden, le critique David E. James distingue clairement le journal filmé (improvisé, quotidien : le home movie) du film-journal, organisé, monté et commenté après-coup et qui constitue une œuvre close.
Après cette œuvre fondatrice,Jonas Mekas revient, par le montage, à sa période de jeune exilé dans LostLostLost, avant de se tourner vers d’autres formes d’expression autobiographique. Certains plans sont utilisés (ou réutilisés) pour structurer une aventure particulière, celle de ses retrouvailles avec sa première famille dans Reminiscences of a Journey to Lithuania (1972). Après vingt-sept ans d’absence, le cinéaste retourne sans son village natal. Il y filme ses amis, sa mère, divers lieux de son enfance. Des plans du début des années 1950 à New York parmi les émigrés ouvrent le film, d’autres de Vienne en 1971, avec son ami Peter Kubelka, le ferment, enserrant la partie centrale « flashée » en une série de courtes séquences tournées en Lituanie. L’auteur y livre, déjà, un traité poétique (qu’il redéploiera à plusieurs reprises jusqu’à son dernier film-journal en 2012) avec son inimitable art du fragment, en une série de saynètes particulièrement réjouissantes. Ce troisième film-journal, très ancré dans le présent et monté en quelques jours (comme un reportage) est exemplaire, tant formellement que thématiquement, de l’œuvre mekasien. On y revoit les plans sages et posés des années 1950 en ouverture, puis les plans lyriques de ce début des années 1970. Un autre élément important est la mise en avant des liens qu’il entretient avec sa famille – son frère dans les plans des débuts, sa mère et ses oncles lors de son séjour en Lituanie.
Jonas Mekas se marie en 1974 et devient père de deux enfants, Oona et Sebastian, une fille et un garçon, qui seront présents dans les derniers films-journaux. Dans Reminiscences… tout se superpose, sa vraie famille biologique et la grande famille des artistes.
Mekas prolonge Walden avec He Stands in a DesertCounting the Seconds of his Life (1986) avec des plans non utilisés jusque là. Une réflexion sur son travail de cinéaste point dans les commentaires ; procédé qui deviendra omniprésent dans ses autres films-journaux, As I wasMovingAhead, Occasionally I SawBriefGlimpses of Beauty (2000) notamment, où sa femme et ses enfants occupent une place très importante. Une certaine amertume commence à se faire sentir, ici, dans[...]
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Écrit par
- Raphaël BASSAN : critique et historien de cinéma
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Média
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