SWIFT JONATHAN (1667-1745)
Apprentissage chez un grand seigneur
Vingt et un ans, sans emploi, sans argent, c'est chez sir William Temple (1628-1699) que Jonathan trouve pitance et protection. Sir William, diplomate retiré et bon humaniste, prenait ses aises à Moor Park (dans le Surrey), où il accueillit le fils de ses amis Swift. Ce séjour fut capital pour la formation et la carrière du protégé brillant et dévoué qui y vécut, en trois reprises, près de dix ans de sa vie : depuis 1691 jusqu'en 1699, date de la mort de sir William. Secrétaire et lecteur, éditeur des ouvrages de son bienfaiteur, bataillant pour lui dans la querelle des Anciens et des Modernes, ayant à sa disposition une vaste bibliothèque et le commerce érudit et avisé d'un gentleman de bonne race, et puis aussi tuteur d'Hester (ou Esther) Johnson – la future Stella, née en 1681 –, Swift contracte envers Moor Park une dette spirituelle qu'on ne saurait exagérer.
Il lui faut cependant une situation. Malgré la protection de sir William, un diplôme décerné par Oxford (1692), un bouillonnement intellectuel qui le désignait déjà comme un cerveau hors série et une ambition impatiente, rien de sérieux ne s'offre à lui que la prêtrise. Ordonné en 1694, il obtient la maigre prébende de Kilroot (où ses ouailles sont en majorité des catholiques), près de Belfast (1695). C'est là qu'il rencontre Jane Waring (Varina), une des trois femmes qui marquèrent sa vie. Il voulait l'épouser. Elle refusa. Malgré l'humiliation subie, elle le hanta plusieurs années. En 1700, ce fut la rupture.
À cette date, il avait renoncé à Kilroot, fait un voyage à Londres avec sir William, écrit pour le défendre La Bataille des livres (The Battle of the Books, 1696), rédigé Le Conte du tonneau (The Tale of a Tub, 1697-1698), rassemblé pour publication les Lettres de sir William, reçu la cure de Laracor et le canonicat de St. Patrick (dont il deviendra le doyen en 1713 seulement). Il s'était aussi essayé à la poésie avec quelques odes, vers de circonstance, ou galants, de médiocre venue, qui lui firent détester sa Muse et renoncer à la candeur poétique. Quand, plus tard, il écrira des vers, le ton, l'inspiration auront curieusement changé. La verroterie grincera, et sera même, parfois, répugnante et stercoraire.
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Écrit par
- Henri FLUCHÈRE : doyen honoraire de la faculté des lettres et sciences humaines d'Aix-en-Provence
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